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Mariette et son amant Gérard ont une petite querelle d'amoureux qui tourne autour d'un ami de Mariette, le peintre Feugères. On voit poindre dans cet extrait l'intérêt de Champfleury pour la prose et le Réalisme. C'est Gérard qui commence ainsi...
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— Tu as mal fait de te brouiller avec Feugères : il s'est bien conduit pendant ta maladie. Il t'aime, je le crois; qui est-ce qui ne t'aimerait pas? Mais il est toujours facile de faire entendre raison à un homme : il sait que tu es avec moi.
— Que lui importe? dit Mariette; il voulait me prendre avec lui.
— Alors, je commence à ne plus le défendre aussi chaudement.
— Je lui ai dit que ce n'était pas possible. Il prétend que tu es laid; mais je réponds que je t'aime ainsi. Il a fait ton portrait sur son mur, avec tes longues manchettes et ton fameux habit à basques.
— Diable! dit Gérard piqué.
— Il m'a fait souvent rire de toi.
— Il est toujours facile, dit Gérard, quand on veut prendre la femme de quelqu'un, de rendre ce quelqu'un ridicule. Si je parlais de sa peinture, qui est calquée sur les figures de vases étrusques!
— Par exemple! s'écria Mariette, je ne veux pas qu'on dise de mal de la peinture de mon ami Feugères.
— Oui, il ira loin avec son imitation de l'antique.
— Il a beaucoup de talent, dit Mariette.
— Où les a-t-il connus, les antiques? dit Gérard; est-ce qu'il voit dans les rues des gens portant des péplums sur le dos?
— C'est très distingué, dit Mariette.
— Distingué, distingué! s'écria Gérard; un mot qu'on met à toutes les sauces; la distinction, c'est la décoration des gens médiocres.
— Tu n'empêcheras pas, dit Mariette, que sa Courtisane romaine n'ait eu un grand succès au Salon.
— Parbleu! tous les bourgeois de Paris s'ameutaient autour; ils trouvent ça plus difficile à peindre qu'un paysan en blouse, de même qu'on s'imagine qu'un poëme a plus de valeur qu'un roman en prose! Qu'est-ce que cela prouve? que le nombre des ignorants est considérable.
— Feugères est un grand peintre, dit Mariette.
— Tu ne t'y connais pas, dit Gérard.
Il arrivait souvent de semblables querelles. Mariette, frottée de littérature, de peinture, aimait la discussion et soutenait le talent de tous ceux qu'elle connaissait; et Gérard entrait en fureur, commençant d'abord par raisonner sérieusement et ne pouvant tenir contre les affirmations douteuses de son amie.
Etc...
Champfleury Les Aventures de mademoiselle Mariette 1853 |
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