Les Beaux Rêves

Le Roitelet


Un jour qu'il gelait, qu'il gelait,
L'Hiver, voyant le roitelet
Voler, chanter, plein d'allégresse
Malgré le gel et la détresse,
Lui tint le language qui suit:
« Où donc étais-tu cette nuit?
- J'étais niché, ne vous déplaise,
Et j'étais niché fort à l'aise,
Là, sous le toit d'une maison
Où, de belle et bonne façon,
Les femmes ont fait la lessive.
- Bah! c'est une chance excessive:
La nuit prochaine, gare à toi!
Au revoir, joyeux petit roi. »

Or, la nuit d'après, la froidure
Fut si sévère, fut si dure,
Que, dans le cuvier même, l'eau
Prit tout d'un bloc sous le tuyau.
Le lendemain, comme la veille,
Le roitelet faisait merveille.
« Cette nuit, où donc étais-tu?
Lui dit l'Hiver rogue et têtu,
Avec une colère bleue.
- Moi! dans l'étable, sous la queue
D'une vache mon vieil ami.
Et vous, avez-vous bien dormi?
- Gausse-toi! nous verrons, pécore,
Si tu railles longtemps encore. »

Dès le crépuscule, il gela
Si sec, si fort, que, ce soir-là,
Tout le bétail fut, par la glace,
Dans l'étable figé sur place.
Pourtant, le léger roitelet
De bonne heure chantait, volait,
Comme au temps des Pâques-Fleuries.
« Peste! c'est encor toi qui cries?
Dit l'Hiver, en le reluquant.
Où donc as-tu couché, brigand?
- Pas très loin! J'ai fait la trouvaille
D'un bon trou chaud dans la muraille,
Contre le four du boulanger;
On sommeille là sans danger,
Là me sont venus de doux rêves.
- Dieu me damne, si tu ne crèves
Cette fois-ci! » grogna l'Hiver.

Le soir, on fit un feu d'enfer
Dans le four; mais, devant la flamme,
Le gindre, son fils et sa femme,
Eurent tous trois le nez gelé,
Tant le froid devint endiablé!
« Zi! zi! zi! fit sur la colline,
Quand parut l'aube, une voix fine.
Zi! zi! zi! - Qui donc siffle ainsi,
Lorsque tout le monde est transi?
Demanda l'Hiver avec rage.
- C'est toujours moi, c'est mon ramage.
- Qui, toi? - Le petit roitelet.
Je ne sais point d'autre couplet.
- D'où sors-tu? réponds, sois sincère!
- J'ai passé la nuit dans la serre
Du grand château, dont le le seigneur
Faisait réveillon par bonheur;
J'étais là, perché sur la branche.
- Ah! gredin, j'aurai ma revanche! »

Petit roitelet vit toujours.
Il savait mes belles amours,
Il vint frapper à ma fenêtre.
Toc! toc! J'entends, j'ouvre; il pénètre
Dans la chambre, vole tout droit
Vers l'alcôve, et, riant du froid,
Se blottit, l'aile refermée,
Sur le coeur de ma bien-aimée.
Loin des frimas, loin des autans,
Jusqu'au retour du clair printemps.
Avec une grâce infinie
Il nous a tenu compagnie.
Quand, sur la neige, à l'horizon,
Front chenu, barbe de glaçon,
Reparaîtra l'Hiver morose,
En notre nid couleur de rose,
Gai roitelet qui nous es cher,
Reviens vite narguer l'Hiver!
Reviens; et pour nous sois l'emblème
De l'Amour vrai qui toujours aime,
De l'Amour ailé, roi plus fort
Que la froidure et que la mort!

Émile Blémont
Les Beaux Rêves
1909




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