Bergerat se souvient du temps où il prélevait un sous par an sur ses économies d'écolier pour racheter de pauvres petits chinois qui autrement allaient être mangés par des cochons1. Puis il nous explique que l'idée pourrait bien être profitable à la France. ... Mais je le demande de toutes mes forces, les larmes aux yeux, dans l'angoisse d'une pitié profonde pour nos chers petits. Auprès de ce qui les attend en ce monde où l'on s'amuse et où l'on s'ennuie tour à tour, la destinée la plus clémente qui leur puisse échoir, c'est d'être croqués, les yeux clos encore, par les porcs. La vie ne leur promet rien de plus doux. La société ne leur garantit pas de meilleur avenir. De telle sorte qu'il faut en arriver là le plus tôt possible. Je crois qu'un troupeau de douze cochons par arrondissement, ce serait assez. Le matin, à l'heure où les maraîchers ramassent les ordures devant les maisons, dans chaque quartier et dans toutes les rues le troupeau passerait, conduit par un porcher municipal. Ils auraient de petites clochettes au cou, comme les ânesses qui portent le lait aux malades, de jolies clochettes réjouissantes qui tintinnabuleraient gaiement dans le brouillard violet et avertiraient les jeunes mères. Et le porcher irait portant une houlette enrubannée, aux couleurs nationales et il crierait: « A vos p'tits Jésus! Descendez vos p'tits Jésus! » Ce serait simple et pittoresque. Les jeunes mères, de leur lits blancs, sans déranger la délicieuse flânerie matinale de l'époux, diraient à leurs femmes de chambre: « Eugénie, avez-vous jeté le petit? » — et le mari, en s'étirant, bâillerait: « Tiens, ce sont les cochons qui passent! Il va être huit heures. Les journaux doivent être arrivés. — Je crois que tu avances, répliquerait l'épouse. — Non repartirait-il, le passage des cochons, c'est réglé comme des petits pâtés. » — Dialogue idéal sous l'édredon. Je vous assure que l'on s'y ferait, car enfin, l'avantage, l'indiscutable avantage de cette innovation, serait d'arrêter l'infanticide, le viol des êtres à peine éclos, l'engorgement des latrines par les petits cadavres, l'assassinat lent et graduel de l'enfant détesté, le martyre du faible, du difforme, de l'infirme, l'affamement et l'empoisonnement par les nourrices, la corruption par les bonnes, la brutalisation par les patrons, la torture des écoles, l'abêtissement du désespoir et tout ce qui constitue enfin la destiné paradisiaque de l'enfant au dix-neuvième siècle. On s'y ferait, vous dis-je, à mes cochons, on s'y ferait!... Etc. Émile Bergerat 1 - Arthur Buies (1840-1901), dans La Lanterne (No.18, Montréal, 1884) écrit: |
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