Bergerat a publié dans Le Voltaire ce qui semble être des commentaires sur l'actualité — il parle de politique, de religion, d'art, de lettres — sous ce pseudonyme de l'Homme Masqué. Il y laisse libre cours à sa critique de la France de la Troisième République, à la lueur de sa verve et de sa culture. Dans cet extrait d'un article remontant à 1880, il nous explique pourquoi on a massacré des millions de juifs depuis mille huit cent ans: pour venger la mort de Jésus. ... Le juif, dit Torquemada, un bien saint homme, n'a pas voulu reconnaître la divinité du fabuliste1. Sacrebleu, je voudrais bien vous y voir, vous qui n'avez même pas voulu reconnaître la simple science de Gallilée! D'abord non seulement la divinité de l'agréable physicien nommé Jésus n'était pas évidente, mais elle n'est pas encore prouvée. Puis, son talent de fabuliste était de troisième ordre et ne dépassait guère le niveau atteint par notre Lachambaudie2. Il faut se mettre à la place de ces pauvres diables d'Hébreux, habitués à vivre tranquilles et à potasser leur Bible à l'ombre du tabernacle et se représenter l'effet qu'a dû leur produire l'apparition d'un espèce de toqué, suivi de douze pisciculteurs abrutis, qui s'en venait débiter des calembours, faire tourner des chapeaux et des tables, introduire des catins dans le temple, et raconter que sa mère a eu commerce avec des pigeons domestiques3. On n'a pas idée d'une surprise pareille. Certes, c'était un dieu! A qui le dites-vous? Mais enfin au premier abord on pouvait en douter, et les pharisiens n'ont pas été aussi malins que vous l'êtes. Du premier coup, vous, vous vous seriez écrié: « Ah! mille bombes! ce n'est pas un homme. C'est positivement le fils de Jéhovah, qui n'en a jamais eu! » Et vous auriez piqué une tête dans le Jourdain. Eux, ils ne l'ont pas fait. C'est leur tort. Mais ils ne s'y attendaient pas. Voilà leur excuse. Observez d'ailleurs qu'ils ne sont pour rien dans son supplice, et que, s'il faut s'en référer à l'inscription placée sur le poteau du Calvaire, c'est comme prétendu roi des Juifs que le fabuliste fut crucifié, sur l'ordre d'un gouverneur romain, et non pas comme fils d'oiseau, prédit par les prophètes. Etc. Dans l'article suivant, Bergerat nous parle de son siècle à la lueur des massacres de juifs à Kieff, qui est probablement Kiev en 1881. … Sans doute quelques malentendus fâcheux se produiront encore quelquefois, mais si rares! C'est à peine si tous les huit jours, par exemple, une population frénétique, ivre d'eau-de-vie et d'envie, sortira de ce Kieff, qui donne son nom à la ville, tant elle est dormante d'habitude, pour se ruer sur de pauvres diables de circoncis et les charcuter à coups d'eustaches. Les exceptions, pareilles à de saints prélats en tournée apostolique, confirmeront la règle. Notre glorieux XIXe siècle est doux. Il se distingue par la bénignité des méchants siècles un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, douze, treize, quatorze, quinze, seize et dix-sept. Il est tout autre. Il est exquis. Les relations humaines aujourd'hui sont ouatées de fraternité et capitonnées de tolérance. Il faut lui pardonner, à ce bon siècle, les cas imprévus, où les adorateurs du veau d'or sont écrabouillés par les adorateurs des cochons d'argent. Cela n'arrive que les jours de Fête! Etc. Émile Bergerat 1 - Bergerat se plait à appeler ainsi Jésus. |
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