Flore de Frileuse fut une coquette intrigante — mais au bon coeur — au temps de l'Empire et de la monarchie qui suivit. Elle entreprend de soigner le mari de sa nièce troublé dans un amour autrefois idéal par le viol de sa femme. Elle présente ses idées au sujet de l'adultère à son médecin et ami, monsieur Livournet. ... Lorsque, folle de paradoxe et s'abandonnant à toutes les extravagances de son esprit de grande caillette, elle célébrait devant son neveu l'utilité sociale de l'adultère, ce n'était point seulement pour réagir violemment contre l'immense douleur dont il était écrasé par la profanation de sa « soeurette ». Elle avait là-dessus une expérience de soixante ans. Sans parler de ce Colimart dont l'histoire demeurait toujours mystérieuse, elle avait connu beaucoup de ménages pour lesquels l'adultère, loin d'être une ruine sentimentale, avait daté une ère de calme et de bonheur conjugal relatifs. À la vérité, c'étaient des ménages à la moderne, constitués d'après la théorie des dots, des alliances de titres et des combinaisons d'intérêts. Mais le dix-neuvième siècle en fait-il d'autres? — Quoi de plus naturel que l'amant? disait-elle à Livournet, dans une association où la seule chose qui ne soit pas partagée par l'homme et la femme, c'est l'amour? Nous achetons notre liberté avec notre dot. Nous vous la payons devant notaire. C'est bien le moins que nous en fassions usage, et le printemps nous y invite! Songez à ceci. Livournet: Il ne nous dit pas, le printemps: « Dès que les feuilles reviendront aux arbres, tu t'habilleras avec un goût sévère pour aller signer des papiers chez le tabellion de ton village ». Le rossignol ne nous chante pas: « Jeune fille, lève-toi, prends l'argent qui te revient, dans la caisse paternelle, et va le porter à un monsieur que tu n'as jamais vu, pour qu'il achète des fonds turcs afin d'encourager l'islamisme et la polygamie ». Aussi qu'arrive-t-il? Comme il est impossible de faire taire le rossignol, et comme le rossignol nous chante une autre antienne, nous avons fini par comprendre que le mariage est une chose et que l'amour en est une autre. Il y a sur la branche deux oiseaux, le notaire et le rossignol. Le premier célèbre notre argent; le second célèbre notre beauté, notre jeunesse et la douceur de nos baisers. Nous écoutons les deux, Livournet, l'un après l'autre. Mais jamais vous ne me ferez admettre que la femme n'a pas le droit à l'amant quand elle a payé le mari. C'est notre conscription, le mariage. Nous nous sommes rachetées, nous sommes libres, nous vous avons d'avance doré les cornes. Etc. Émile Bergerat |
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