|
Charles Baudelaire, sa vie et son oeuvre
I L'homme et l'oeuvre
Après avoir décrit un portrait de Baudelaire peint par Émile Deroy en 1843 et que le poète avait chez-lui — "entre l'alcôve et la cheminée" — Asselineau nous présente ses souvenirs de cette époque.
Ce portrait, page d'histoire pour nous, ressuscite tout un passé de jeunesse poétique et espérante: les longues promenades au Luxembourg et au Louvre, les visites aux ateliers, les cafés esthétiques et les soirées de l'Odéon-Lirieux. Autour de cette figure silencieuse, attestant dans son costume et dans sa pose les prétentions communes, surgit tout un essaim de jeunes visages: Pierre Dupont, Th. de Banville, Levavasseur1, Prarond2, Aug. Dozon3, Jules de La Madelène, Philippe de Chennevières4, tous souriant au même espoir et professant la même ambition; ambition innocente, mais démesurée, puisqu'elle est infinie, ridicule même selon quelque-uns, mais où il n'entrait du moins rien de vil; car, j'en puis répondre, ni l'argent ni les "positions" n'étaient pour rien dans les rêves d'avenir en ce temps-là. Et, pour nous résumer sur ces souvenirs où nos regrets s'éternisent, disons que si les ambitions étaient grandes, la camaraderie était franche et gaie. On ne posait, si pose il y a, que pour le bourgeois; et les habits funèbres et les chevelures désordonnées ne servaient que, comme les monstres que les chinois portent à la guerre, d'épouvantails à l'ennemi.
II
Méthodes de travail
Puis il nous explique le qualificatif de “bohème” que l'on accola aux littérateurs et artistes de cette génération. Suis-je le seul à voir comme une contradiction entre ce qui précède et ce qui suit?
…
Dans ce temps-là on les appelait: bohèmes; épithète dont le sens serait assez difficile à expliquer, si on ne pouvait l'entendre de l'isolement qui se fait forcément autour de gens qui ne se soucient que de ce dont les autres ne veulent pas. Autrement, si l'on s'en rapportait à l'acception vulgaire qui signifie par ce mot de bohèmes, des vagabonds, des parasites, des gens sans aveu, il suffirait, pour en contester l'application à la génération dont je parle, de répondre que Baudelaire était fils d'un ancien professeur de l'université, secrétaire du Sénat sous le premier empire, que Théodore de Banville a eu des ancêtres à la troisième croisade, et que Champfleury, fils d'un imprimeur, est issu de bonne bourgeoisie.
Charles Asselineau Charles Baudelaire, sa vie et son oeuvre 1869
1 - Gustave Le Vavasseur (1819-1896), poète et ami de Baudelaire
2 - Ernest Prarond (1821-1909), écrivain et historien régional de la Picardie
3- Auguste Dozon (1822-1890), philologue et diplomate écrivant parfois sous le pseudonyme d'Auguste Argonne.
4 - Philippe de Chennevières (1820-1899), écrivain et historien de l'art, écrivant parfois sous le pseudonyme de Jean Falaise. |
|