Études et préludes

Victoire

Donne-moi tes baisers amers comme des larmes,
Le soir, quand les oiseaux s'attardent dans leurs vols.
Nos longs accouplements sans amour ont les charmes
Des rapines, l'attrait farouche des viols.

Repousse, délivrant ta haine contenue,
Le frisson de ma bouche éprise de ta chair.
Pour crier ton dégoût, dresse-toi, froide et nue,
Comme un marbre funèbre aux lueurs d'un éclair.

Tes yeux ont la splendeur auguste de l'orage...
Exhale ton mépris jusqu'en ta pâmoison,
Ô très chère! - Ouvre-moi tes lèvres avec rage:
J'en boirai lentement le fiel et le poison.

J'ai l'émoi du pilleur devant un butin rare,
Pendant la nuit de fièvre où ton regard pâlit...
L'âme des conquérants, éclatante et barbare,
Chante dans mon triomphe au sortir de ton lit!



À l'amie

Dans tes yeux les clartés trop brutales s'émoussent.
Ton front lisse, pareil à l'éclatant vélin,
Que l'écarlate et l'or de l'image éclaboussent,
Brûle de reflets roux ton regard opalin.
Ton visage a pour moi le charme des fleurs mortes.
Et le souffle appauvri des lys que tu m'apportes
Monte vers les langueurs du soleil au déclin.

Fuyons, Sérénité de mes heures meurtries,
Au fond du crépuscule infructueux et las.
Dans l'enveloppement des vapeurs attendries,
Dans le soir énervé, je te dirai très bas
Ce que fut la beauté de la Maîtresse unique...
Ah! cet âpre parfum, cette amère musique
Des bonheurs accablées qui ne reviendront pas!

Ainsi nous troublerons longtemps la paix des cendres.
Je te dirai des mots de passion, et toi,
Le rêve ailleurs, longtemps, de tes vagues yeux tendres,
Tu suivras ton passé de souffrance et d'effroi.
Ta voix aura le chant des lentes litanies
Oû sanglote l'écho des plaintes infinies,
Et ton âme, l'essor douloureux de la Foi.




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