Une lettre le décida. Une lettre de sa mère, douloureuse et navrante, et qui l'émotionna plus, avec sa résignation triste et concise, que ne l'eussent fait, certes, quatre pages de reproches véhéments. Il y avait assez longtemps que ce désir le hantait de s'en aller là-bas, ne fût-ce qu'une couple de jours, baigner ses poumons fiévreux de parisianite, dans l'air tiède et si limpide et si calme du pays natal. Si près de Paris. Quarante lieues a peine! Et pourtant, il y avait plus de deux ans que sa famille ne l'avait revu. Pourquoi faire, après tout, aller au pays? Y étaler son ennui de tout et de lui-même, sa désespérance morne et le vide de sa tête et de son coeur. Sa pauvre mère! Ne valait-il pas mieux qu'elle le crût pris par la noce que dévasté par les mauvaises songeries. On lui en voulait assez d'avoir lâché la médecine au dernier examen, alors qu'avec un petit effort il eût pu grossir son tas de paperasses inutiles du brevet de docteur que tant d'autres ambitionnent. Ç'avait été comme un coup de folie. Brusquement, au moment de consigner pour son cinquième, l'immense vanité de tout lui était apparue si lumineusement qu'il n'avait pu aller plus loin. Et surtout le rien de la science. Et le charlatanisme déclamatoire, prétentieux et déloyal de la médecine qui sans appuyer sur autre chose que sur une anatomie succinte et une physiologie rudimentaire une thérapeutique éternellement tâtonnante qui ne compte pas trois remèdes assurés — et desquels, encore, le pourquoi de l'action est lettre close — ne craint pas d'édifier tout un système commercial qui met en jeu, sans vergogne, la vie humaine. D'écoeurement, il lâcha tout, au grand désespoir de la famille qui, un instant, le crut dément, et au grand scandale de la Faculté pour qui cette rupture retentissante était une insulte en même temps qu'un précédent désagréable. Après, le désoeuvrement l'avait jeté dans le journalisme. Mais il s'y buta à tant de fausses camaraderies, à tant de mauvais vouloirs, à tant de voisinages médiocres, et il vit, là encore, si nettement flamboyer le rien désespérant qu'il se hâta de chercher autre part. Non pas dans la politique, pitrerie qu'il jugeait indigne d'un galant homme, dont il proposait, lorsqu'on en parlait, de se débarrasser en faveur des femmes, du moment qu'elles avaient la petitesse d'y tenir. Comme tant d'autres, sur la foi d'enthousiastes gobe-mouches qui assuraient que là était la vérité et la lumière, il voulut frapper à la porte de la Philosophie. Et quand on la lui eut ouverte, il fut épouvanté de la foule bigarrée, assourdissante et cacophone qu'il y trouva, braillant, grouillant, discutaillant, et avec de grands gestes, au sein d'une obscurité complète et d'un brouillard qui vous étreignait la poitrine et vous serrait à la gorge. RIEN! C'était le mot de la vie. Dupes par ci, farceurs par là, voilà les hommes. Une nausée le crispa. Et il coula un regard amical du côté de son revolver dont la crosse luisait, au mur. Ah! il y avait songé plus d'une fois, mais c'était si bête! si romantique! si rococo! si dessus de pendule! Et, là-bas, sa mère, la pauvre femme... C'est alors qu'il songea, comme à un remède, à la potion calmante du pays natal. Ah! il était bien certain qu'on l'y recevrait à bras ouverts. Des reproches? allons donc! on tuerait le veau gras pour le retour de l'enfant prodigue. Et voilà qu'une lettre était venue, le réclamant presque. Etc. Léo Trézenik |
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