L'Ingénieur von Satanas

Deuxième partie
L'Age des terriers

II
Excursions et reconnaissances

Robida a probablement écrit ici le premier roman post-apocalyptique, mais son apocalypse n'est pas post-nucléaire, il fait suite à la seconde guerre mondiale qui en dix ans a vu la civilisation détruite à coups d'attaques chimiques et bactériologiques.

J'aperçois quelquefois des habitants, je vois sortir de trous sous les ruines, ou de terriers semblables à celui où nous avons été recueillis à notre débarquement, des gens aux traits hâves, vêtus de costumes haillonneux, avançant prudemment, la mine inquiète, la main serrant solidement de vieilles armes emmanchées à des gourdins. Ils vont comme nous à la recherche d'un gibier plus ou moins bizarre; ils se dirigent vers quelques carré de terre épargné dans la dévastation générale, où ils cultivent des légumes, les précieuses pommes de terre, les oignons, les navets et les carottes, attendus par leurs familles ou leurs compagnons restés dans les refuges, cachés sous bois ou parmi les ruines

Dans ces rencontres on se regarde avec méfiance, on s'interpelle de loin avant de s'aborder. Moi aussi j'interroge, je pose des questions, je quête des nouvelles, je voudrais tant savoir ce qui peut se passer là-bas, au delà de notre horizon si étroit. Des nouvelles, il n'y en a pas. Personne ne sait rien, chacun reste confiné dans son trou, se dissimulant comme une bête traquée et tâchant seulement de vivre et de durer.

Et en ville, dans ce que l'on continue à appeler la ville, c'est la même chose. Les gens vivent par familles ou par groupes dans de vieilles caves solides, qui ont résisté jusqu'ici aux bombardements et que souvent on a consolidé avec des poutres et des décombres entassés, ou des sacs à terre. Certains quartiers plus maltraités que les autres sont tout à fait déserts, tandis que la population s'est resserrée sur des points mieux protégés, laissant les ruines trop ruinées aux bandes de chiens et de chats sauvages, maigres, hérissés et affamés, toujours en chasse et toujours traqués eux-mêmes par des chasseurs au ventre vide.

La faculté d'adaptation de l'homme est extraordinaire, les gens vivent dans ces conditions déplorables, toujours sous la menace des pires catastrophes, au péril des obus et des bombes, des écroulements, des empoisonnements par les gaz, des maladies, des fléaux que le monde ne connaissait plus, avec la crainte de la famine en plus, la famine toujours imminente, toujours possible à bref délais, si chacun, dans la lutte pour la nourriture quotidienne, ne s'évertue pas en efforts perpétuels pour se débrouiller de son mieux.

Etc.

Albert Robida
L'Ingénieur von Satanas
1919



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