Paris de siècle en siècle

Chapitre VII

Paris féodal
I

Robida traite des vieux hôtels de la noblesse à Paris et en profite pour nous parler du théâtre tel que vu dans la capitale à partir de la Renaissance.

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En 1453, François Ier pressé par le besoin de pécunes, fit mettre en vente aux enchères les anciens hôtels royaux ou princiers qu'il ne pouvait utiliser, certaines parties de l'hôtel Saint-Paul, l'hôtel de Bourbon confisqué au connétable, et avec eux l'ancien hôtel de Bourgogne.

C'était la fin pour cette grande résidence qui fut découpés en treize lots à travers lesquels passait une rue nouvelle qui s'appella (sic) du nom du roi, rue Françoise dont on a aujourd'hui, à tort, changé l'o en a. Tout sur ce point se transforma bien vite, le jardin de Jean sans Peur disparut, les grandes salles jadis si richement meublées et tapissées tombèrent et des maisons vinrent s'accrocher au donjon. Évanouis, les souvenirs tragiques des Bourguignons et des Armagnacs. Le vieil hôtel sanglant où s'étaient préparés les grands drames du siècle précédent devient le théâtre des confrères de la Passion et des enfants Sans Souci, c'est-à-dire le théâtre de l'hôtel de Bourgogne, si fameux pendant cent cinquante ans, donnant ainsi pour successeurs à Jean sans Peur les désopilants farceurs, Gros-Guillaume, Turlupin, Gauthier Garguille et Bruscambille.

Les Confrères de la Passion, chassés de l'hôpital de la Trinité, près la porte Saint-Denis, s'arrangèrent une salle de spectacle à l'hôtel de Bourgogne et reprirent leurs représentations de mystères, jusqu'à ce qu'un jour le Parlement leur ayant fait défense de tirer désormais leurs sujets des légendes et miracles des saints, de l'histoire sacrée et des dogmes mis continuellement à la scène, depuis la Création jusqu'au Jugement dernier, avec tous les personnages de l'ancien ou du nouveau testament, il ne leur resta plus pour domaine que les sujets profanes, les romans de chevalerie et la mythologie, ainsi que les sotties et moralités, ces farces satiriques des enfants Sans Souci dont les allégories, fort audacieuses parfois, suscitaient les colères de l'autorité, du parlement et du roi.

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Au commencement du XVIIe siècle le goût est à la farce joyeuse, c'est le moment des fantoches comiques, des baladins et des bouffons jouant soit dans les petits théâtres, soit en plein air sur les tréteaux des charlatans et des vendeurs d'orviétan du Pont-Neuf. Et portant l'hôtel de Bourgogne, où des comédiens de métier ont succédé aux Confrères de la Passion, joue alors des pièces quelque peu amphigouriques, de froides tragédies au langage précieux et il s'inquiète de voir de plus en plus vides ses banquettes. Les farceurs célèbres, Gauthier-Garguille, Gros-Guillaume et Turlupin, trois garçons boulangers du quartier Saint-Jacques enlevés au pétrin par le goût de la farce, avaient fondé un petit théâtre place de l'Estrapade; sur ces très humbles tréteaux leurs joyeusetés eurent un succès de curiosité d'abord, puis une telle vogue, que le théâtre de l'hôtel de Bourgogne, se voyant de plus en plus délaissé par le public, alla porter ses plaintes devant Richelieu, plus favorable à la tragédie qu'à la farce. Celui-ci fit venir le trio au Palais-Cardinal, le fit jouer devant lui et, gagné à son tour, engagea sur l'heure l'hôtel de Bourgogne à se l'attacher.

Et alors les pièces de Scudéry, Hardy et Rotrou, les premières tragédies de Corneilles alternèrent avec les grosses farces de l'énorme Gros-Guillaume, au ventre cerclé comme un tonneau, du fluet et tout disloqué Gauthier-Gauguille et de Turlupin, leur maître peut-être en bouffonneries, d'une verve extravagante peu ordinaire, mais aussi de grosse joyeuseté très peu délicate, très ordurière et même frisant trop souvent et de trop près l'obscénité.

Immense succès pour les trois compères, vogue fabuleuse. On se bouscule à la porte de l'hôtel de Bourgogne, où les bouffons ouvrent la représentation par une parade pour attirer le public et égayer la queue des spectateurs devant le guichet. Les banquettes sont bondées à l'intérieur, on s'écrase, même pour les tragédies qui nous semblent les plus rébarbatives, comme certaines de Scudéry qui eut pourtant l'honneur de faire étouffer dans la presse le portier du théâtre.

Bientôt d'autres bouffons, Bruscambille, Jean Farine qui paradaient en même temps sur le Pont-Neuf, Galinette la Galina viennent seconder ou remplacer le trio sur les planches de l'hôtel de Bourgogne, puis arrive Guillot Gorju, dont le pseudonyme cachait un fils de médecin qui, après avoir lui-même obtenu ses diplômes, courut la province comme charlatan ambulant avant de devenir tout à fait comédien.

Sous Louis XIV, grande rivalité entre les comédiens de l'hôtel de Bourgogne et la troupe de Molière. Celle-ci après avoir couru la province à la façon de la troupe du Roman comique de Scarron, pour laquelle elle a servi peut-être de modèle, après avoir erré dans Paris de salle en salle, chassée de la salle du jeu de paume de la Croix-Noire du Marais au jeu de paume de la Croix-Blanche de la porte de Buci, puis au jeu de paume de Nesle, a conquis enfin la faveur du roi et une salle à l'hôtel de bourbon.

La troupe royale des comédiens français de l'hôtel de Bourgogne regardait de son haut ces comédiens errants, lesquels finirent par lui disputer la vogue. A la mort de Molière les deux troupes se fondirent en une seule qui s'en alla occuper la salle de la rue Guénégaud, tandis que la salle de l'hôtel de Bourgogne restait en la possession des comédiens italiens, lesquels, appelés par Mazarin, alternaient déjà depuis longtemps avec les comédiens français.

Sous la tour de Jean sans Peur ce sont d'autres fantoches maintenant qui égaient de leurs lazzis le vieux quartier Mauconseil; c'est Scaramouche et sa bande avec il signor Pantalone, c'est Scapin, c'est Arlequin, c'est Polichinelle sans peur et sans pitié aussi, le farouche capitaine Matamore, Cassandre toujours berné et le doux Pierrot avec Colombine la Coquette.

Etc.

Albert Robida
Paris de siècle en siècle
1895



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