Nous sommes en 1834 et Palmyre Chastelus, actrice, va se marier à un grand-duc allemand. Elle fait sa confession pré-maritale, mais par correspondance. Elle raconte ses débuts dramatiques, alors qu’elle vient de rompre avec le jeune peintre Pétrus. Si j’étais restée chez ma mère, ma confession s’arrêterait là, mais je n’y restai pas! O mon papier! deviens écarlate pour montrer comme je rougis! Ma vocation dramatique était née du temps de Pétrus, il avait tant d’amis dans la littérature! Moi, j’aimais tout, les mélodrames où l’on sanglotait d’un bout à l’autre et les vaudevilles où l’on pleurait aussi, à force de rire. Mais le mélodrame surtout me faisait battre le coeur et tourner la tête. C’était le bon temps du gros mélo classique, des traîtres poignardant de bons seigneurs et régnant par la terreur à leur place, le temps des orphelines assassinées, des massacres, des empoisonnements, des vengeances, des fantômes de la vieille tour, des vieillards chargés de chaînes, des ermites de la forêt… En ai-je vu avec Pétrus, à l’Ambigu, à la Gaîté, à la Porte-Saint-Martin!… La Tête de bronze1, la Morte Vivante2, Walter le cruel3, la Muette de la forêt4, l’Aigle des Pyrénées5, la Tête de mort6, le Remords7, le Vampire8, le Solitaire9, le Corregidor10, Han d’Islande11, Sept heures12, l’Honneur dans le crime!13… etc. Pétrus riait quelquefois, moi je frissonnais! J’en rêvais, j’ai toujours adoré avoir peur! Comment je devins actrice, c’est plus difficile à dire. Voilà : le député d’Angoulême qui faisait semblant d’aimer la peinture de Pétrus, m’avait déjà proposé de me faire entrer au Conservatoire. Il était trop laid, le député, j’avais refusé. Mais quand je quittai Pétrus, un de ses amis, M. Cussemard, qui avait toujours été très gentil pour moi, sans réciprocité encore, je vous jure, me fit travailler et parvint à obtenir une promesse d’engagement à la Porte-Saint-Martin… Mon poète, Marc Cussenard, ou plutôt Marcus Marcassus l’Agreste comme il signait ses vers, était beau comme Pétrus, mais dans un autre genre, le genre terrible et fatal; il visait même à la beauté sinistre, presque macabre, avec son toupet pointu, sa barbiche en pointe infernale, ses dents blanches qu’il découvrait toujours dans un sourire dont il s’efforçait de faire un rictus ironique. Je le revois, serré dans un pourpoint noir Henri III, ouvert largement sur un gilet couleur flamme d’enfer. Il n’avait pas de montre et pour cause, mais sur son gilet fauve, on entrevoyait, lorsque le pourpoint s’écartait, deux petites têtes de mort en ivoire suspendues à un vieux chapelet porté comme une chaîne. Marcus Marcassus l’Agreste rimait des vers aussi truculents que les toiles de son ami Pétrus. LA VILLE A SAC
« …Les braves lansquenets à rouge hallebarde, De crever des bourgeois saoulés depuis l’assaut, Veulent enfin s’offrir vie aimable et paillarde, Femmes de cardinal, vins forts à plein boisseau, Aimer, se dilater, devant Rome qui arde!… » . . . . . . . . . . . . . . et il accumulait sur sa table des monceaux de drames en prose et en vers que les directeurs de théâtre, hélas! s’obstinaient à refuser. Enfin, un jour, une de ces pièces, portée sans grand espoir à la Porte-Saint-Martin, fut acceptée et mise en répétition tout de suite; c’était La fille de l’alchimiste, un drame très moyen âge, très noir, et très féroce, où il n’y avait guère moins de dix-sept crimes variés, écrit en collaboration avec un autre ami de Pétrus, Alfred Boguin, qui signait Yvonnic Guindoulas, des romans-cauchemars en six volumes, à donner la fièvre quartaine à tous les habitués des cabinets de lecture. Etc. Albert Robida 1 - La Tête de bronze ou le Déserteur hongrois, par M. Augustin (Jean-Baptiste-Augustin Hapdé, 1777-1839), joué en 1808. |
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