Voyage de fiançailles au vingtième siècle

VII

Robida reprend ici, avec les mêmes personnages et presque mot pour mot parfois, l'épisode du voyage de fiançailles de son roman précédent: Le Vingtième siècle: la vie électrique. Il nous parle dans cet extrait des américains qui viennent de se poser sur une plage du Parc national d'Armorique qui a été dans toute son étendue soustrait au grand mouvement scientifique et industriel.

...

Sur le sable, au ras des flots, comme un gros oiseau blessé, l'aéronef américaine reposait. C'était l'Étoile des lacs, de Chicago, no 465 du « Great aeronautic club », appartenant à James Fergus, marquis de Michiganland, de Fergus Castle, fils cadet de Fergus II, dictateur du royaume des Grands Lacs, tué il y a deux ans dans la longue guerre entre les lakistes et la république de New-York, et frère du dictateur actuel Fegus III.

L'Étoile des lacs était un remarquable véhicule aérien cubant 780 mètres d'air, d'une architecture élégante et d'un confortable vraiment féérique. Le marquis de Michiganland, lorsque que Georges Lorris lui eut fait passer sa carte, s'empressa de quitter sa sieste, où le retenait une migraine bien gagnée la veille, et d'accourir à l'escalier de tribord au devant du fils du grand ingénieur

Le jeune couple, suivi de ses amis du Grand-Saint-Yves, visita de fond en comble l'Étoile des lacs et en admira fort la charmante installation. Le marquis se montra plein de prévenances; lui aussi justement était en voyage de fiançailles, il faisait son petit tour du monde, en compagnie de quelques amis, jeunes seigneurs ou hommes politiques d'importance, avec sa fiancée, l'une des reines de l'aristocratie américaine, miss Maud Smithson, fille de lord Smithson, ancien banquier et prétendant au trône de Californie, et le mariage devait être conclu au retour.

Sur la plate-forme supérieure de l'aéronef fut servi un lunch extraordinairement abondant en vins des hautes marques californiennes et des différents whiskys de tout âge. Georges s'expliqua très bien l'accident arrivé à l'Étoile des lacs; on avait emporté une cave bien trop garnie, et depuis le départ le champagne californien coulait à flots.

Le marquis de Michiganland raconta ingénument que, l'aéronef ayant paru un peu lourde, on s'était efforcé de l'alléger, en consommant le plus possible de liquides en route. Pouvait-on jeter à la mer les caisses de claret de Californie à dix dollars la bouteille! Cela eût semblé criminel à tous! En conséquence il avait bien fallu le boire. De même que les passagers, le mécanicien et ses aides avaient sans discontinuer fait sauter les bouchons. Vers le milieu de la traversée de l'Atlantique, une violente tempête du sud-ouest éclata, alors que ces gentlemen se trouvaient peu en état de manoeuvrer, et l'Étoile des lacs, au lieu de filer sur Gibraltar, Alger, Malte et Stamboul, emporté par la tourmente, ses propulseurs faussés, fut poussé sur la pointe d'Armorique, où le mécanicien, ayant repris ses esprits, jugea prudent d'atterrir.

Etc.

Albert Robida
Voyage de fiançailles au vingtième siècle
1892



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