Hélène Colobry, de retour à Paris après ses études au Lycée de Plougadec-les-Cormorans (Finistère), cherche a se faire une situation. Elle tâte du journalisme, mais avec peu de succès. Hélène continuait — sans enthousiasme — à faire du journalisme. Elle en était toujours à son premier duel, grâce à sa prudente circonspection; mais son rédacteur en chef n'était pas très content d'elle et lui avait infligé une forte diminution d'appointements. Hélène patientait en attendant le moment des vacances décennales qui, en interrompant le cours des solennités mondaines, devaient lui donner d'agréables loisirs. Les vacances décennales! Le bon temps, le doux moment! tous les Français en rêvent dix-huit mois à l'avance, aussi bien ceux qui ont déjà passé plusieurs fois ce trimestre enchanteur, rempli d'émotions et de drames, de coups de théâtre et de nuits de fête, que les jeunes citoyens qui en sont encore à leur première révolution. Oh! la première révolution! oh! le premier habit, le premier bal, le premier amour! joies ineffables, battements de coeur délicieux, sensations nouvelles et charmantes! La France est un gouvernement parlementaire tempéré par des révolutions régulières ou vacances décennales. Rien de plus sage et de mieux ordonné. En dix ans la machine politique, chauffée et surchauffée, a eu tout le temps de s'encrasser et de s'abîmer. La révolution régulière est la soupape de sûreté qui supprime tout danger d'explosion. Pendant le temps d'arrêt des vacances décennales, la machine se nettoie, se remet à neuf et au bout du trimestre, le gouvernement, réparé et rétamé, se trouve de nouveau en état de marcher dix ans sans remontage ni catastrophe. Dix ans de politique ennuyeuse, c'est beaucoup! Aussi comme on trouve long chaque mois, chaque semaine de la dernière année! Comme on attend avec impatience le moment de la délivrance, le jour béni du bouleversement et les distractions sans nombre des vacances révolutionnaires décennales! ... Il faut voir avec quelle joie le pays, sevré d'émotions pendant dix longues années, ennuyé par de sempiternelles discussions parlementaires, accueille les vacances décennales! Tout est préparé, organisé de longue date pour rendre ces vacances plus agréables et plus pittoresques que celles de la période précédente. Dans toutes les villes des comités se sont formés pour l'organisation de la révolution et la préparation de distractions inédites, de surprises intéressantes et émouvantes. Partout on travaille, on passe les nuits, soit à préparer les accessoires indispensables, soit tout simplement pour se mettre en avance et n'avoir aucun souci d'affaires pendant les trois mois de vacances. Les dernières semaines avant les vacances furent agitées. La population surexcitée faillit avancer le grand jour fixé pour l'ouverture des événements et renverser irrégulièrement le gouvernement. Des rassemblements couvrirent les boulevards avant la date annoncée, de farouches et impatients tribuns tonnèrent dans les réunions publiques, les journaux chauffèrent les masses à outrance, tant et si bien que sans l'énergie du ministère, les vacances risquaient d'être gâtées par trop de précipitation. Etc. Albert Robida |
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