Marie Donadieu

Deuxième partie
Chapitre II1

Marie Donadieu a dix-neuf ans. Elle a suivi son amant à Paris. Elle se promène de par la ville.

...

Elle descendait le boulevard Saint-Michel à pas comptés, ne s'arrêtait guère qu'aux devantures, attirée par un chapeau rouge, par un parapluie à tête de nègre, par des cartes postales illustrées qui, représentant des femmes dévêtus, accentuaient leurs seins et leur croupe et leur donnaient une gloire, une sorte d'assurance animale. Elle descendait parfois jusqu'au Châtelet, aimait, au boulevard du Palais, cinq minutes de silence entre le Palais de Justice et la Préfecture de police, alors que l'ombre un peu dure des deux monuments faisait les passants se presser et chercher la joie ailleurs. Elle remontait ensuite, assez lasse d'abord et ne sachant plus trouver cette simplicité d'expression qui lui permettait de donner quelques coups d'oeil aux images et de sentir pour elle seule.

C'était Paris. C'était une monstrueuse présence qui s'étalait et tendait largement ses cent mille maisons que des toits hors d'atteinte coiffaient dans le ciel, une présence de pierre imposante comme une colère de Dieu, dont le volume dépassait tout ce qu'on en pouvait prévoir, à laquelle des Pygmées ajoutaient encore, une ville où des échafaudages montaient aux murailles, où de larges fissures apparaissaient d'un coup, où des terrassiers et des maçons consolidaient les bases, où le travail intérieur de la matière, éclatant parfois en d'immenses catastrophes, broyait des tramways, incendiait des bazars, anéantissait des hommes par centaines et se riait des ingénieurs et des sciences. C'était un lieu que des créatures traversaient par bandes, où le faible cri des poitrines se multipliait en un si grand nombre, où la voix de chaque passion recevait une telle réponse que cela montait, dominait tout, coulait avec les nuages et semblait tomber de la bouche d'un élément, là-haut. C'étaient des lumières qu'une passe de vent secouait à la file, des étalages, des étoffes, des chairs humaines, des odeurs de filles publiques mêlées à des odeurs de nourriture, c'étaient des passants dont les vêtements mouillés retombaient vers la terre. C'était une ville comme une devanture, où les femmes portaient chaque jour leur robe du dimanche, où la vanité allumait les pauvres, où le geste voulait être vu du passant, où le commerce avait de grands mots, où les boutiques de fruiterie parlaient d'exportation, où les brioches à un sou, faites avec de la cendre, savaient être dorées comme les brioches des rois.

Etc.

Charles-Louis Philippe
Marie Donadieu
1904

1 - Il y a plusieurs erreurs d'impression dans la copie du roman que j'ai lue et la mention de ce chapitre manque, mais je suppose que c'est bel et bien le chapitre deux.



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