La Mère et l'enfant

Chapitre troisième

J'eus cinq ans, et ma mère m'envoyait à l'école. Maman est une femme savante et expérimentée qui sait que les petits enfants doivent aller à l'école. Il y a des enseignements chez les hommes qu'il faut connaître, comme la lecture, l'écriture, savoir vivre en compagnie d'autres enfants, et tout cela est nécessaire pour donner un cerveau qui conçoive avec un coeur qui comprenne. Maman connaît les nécessités. La vie est formée par des travaux de commerce et d'industrie qui prennent les hommes et les font participer à son harmonie. Maman le croit bien humblement, dans son cerveau de bonne femme, et elle m'envoie à l'école sans phrases, car j'accomplis une action indispensable comme boire ou manger. J'ai cinq ans et je passe mes journées loin d'elle, mais elle se dit: « Il faut que mon enfant soit instruit de toutes les choses humaines. »

Aller à l'école! Un petit garçon de cinq ans est encore chancelant sur le chemin de l'école. Il peut tomber, car le voyage est long, ou bien se perdre, car en bas de la place il y a quatre rues et l'on oublie quelle est la bonne. Quant à m'accompagner maman n'en a pas le temps. Alors elle me confie à Pierre, le fils du charron, qui a douze ans et qui sait comment on doit se conduire dans la rue.

Aller à l'école! C'est une promenade très gaie. Pierre me porte sur son dos et court. Je suis là, cavalier au galop, presque aussi bien que sur un vrai cheval. Tout défile autour de moi, et je respire un grand air, comme s'il y avait du vent. Bien vite, j'en pris l'habitude, et je disais à Pierre, avec mes idées sur le dos humain : Pierre, porte-moi donc sur tes deux reins.

D'autres fois, Pierre me donnait la main. Maman nous regarde descendre, et je suis un bonhomme en culotte avec une main captive, mais avec une allure indépendante. Pierre fait l'imbécile pour me taquiner. Le voici qui ferme les yeux : c'est un aveugle que je dirige. Je suis fier qu'une responsabilité m'incombe de le conduire loin des accidents, mais au fond je suis inquiet parce que je ne m'en sens pas bien la capacité. Pierre est un malin qui, lorsque les voitures vont vite, sait se garer, mais qui, lorsqu'elles passent avec une lenteur d'âne, fait semblant d'être entraîné vers elles. Je le tire par la main, je m'impatiente, je crie et je supplie : « Pierre, fais donc attention, tu vas te faire écraser par la voiture de mon oncle Charles. »

Etc.

Charles-Louis Philippe
La Mère et l'enfant
1900



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