Le Sabot rouge

Une nuit d'hiver

Le garde-chasse Isidore revient d'enregistrer à Nemours un procès-verbal contre un pauvre carrier nommé Cantain, qui a la réputation de porter malheur à ses ennemis.

...

S'étant rappelé la prédiction menaçante de Cantain, depuis l'affirmation du procès-verbal qui devait entraîner des poursuites contre le carrier, Isidore avait peur. C'était même pour s'étourdir de cette peur, qui l'avait envahi en quittant la justice de paix, qu'il avait bu autant pendant son repas. Sans pouvoir comprendre quelle en était la nature, il lui semblait que chaque pas qu'il faisait l'approchait d'un danger inévitable; le « prends garde à toi » du carrier lui bourdonnait aux oreilles, et venait réveiller son inquiétude chaque fois qu'il parvenait à s'en distraire.

En montant lentement la côte, Isidore causait avec le conducteur qui marchait à côté de lui, enveloppé jusqu'aux yeux dans sa peau de bique.

Un incident de leur conversation frappa vivement son esprit, et fut comme une révélation du péril dont il se croyait menacé.

Vivant en rapports familiers avec les voyageurs qu'ils sont habitués à transporter, presque tous les conducteurs sont aussi, sur les routes qu'ils parcourent, les messagers des événements qui préoccupent ou émeuvent les pays qu'ils traversent.

Celui avec lequel se trouvait alors Isidore ayant vu briller la plaque de son baudrier qui indiquait ses fonctions, lui demanda s'il n'était pas venu à Nemours pour assister à l'enterrement d'un de ses confrères qui avait été assassiné la veille par un braconnier.

Isidore répondit négativement et se fit raconter l'affaire.

Le conducteur fit rouler la chique qu'il mâchait du creux d'une joue à l'autre, et recommença un récit qu'il avait dans la bouche depuis deux jours. Le crime avait été commis dans des circonstances à peu près semblables à celles où se trouvait Isidore. Le garde d'une grande propriété située dans les environs de Nemours avait été tué, la nuit, par un braconnier qu'il poursuivait depuis longtemps et auquel il avait déclaré procès-verbal.

Etc...

Henri Murger
Le Sabot rouge
1860



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