Pour les quais

Par devant notaire

À Edmond Haraucourt


Par devant Maître Amour, notaire au pays bleu,
Ont comparu, suivant usage dudit lieu,
Le sieur Jehan du Moulin, clerc d'humeur un peu folle,
Mais déjà passé maître à notre douce école,
Et gente damoiselle Annette Poussepain,
De bonne vie et moeurs, mais sans métier certain,
Lesquels ont déclaré, par volonté commune,
Unir pour un printemps leurs biens et leur fortune.

Dont inventaire suit, par nous dûment dressé:

— Assavoir: Un logis quelque peu lambrissé,
Immédiatement sous les tuiles faitières,
Avec vue alentour sur toutes les gouttières,
Une table boiteuse, et tout ce qui s'en suit,
Un lit, et ce qu'il faut pour peu dormir la nuit;
Un éclat de miroir cloué sur la muraille;
Un tableau figurant un vieille bataille;
Un flacon au long col coiffé d'un éteignoir,
Bouteille le matin, et chandelier le soir;
Quelque chose ayant l'air d'une bibliothèque,
Et différents objets, sans valeur intrinsèque,
Le tout, constituant l'avoir particulier
Dudit Sieur du Moulin, en tant que mobilier.
— La demoiselle Annette, en ce qui la regarde,
Apporte les trésors de sa beauté mignarde,
Le gentil capital de ses dix-huit printemps,
Et le rire perlé de ses trente-deux dents;
Item, de longs cheveux, couleur de grain d'avoine,
Des yeux de velours noir à damner Saint Antoine,
Et maints appas secrets dont nous aurions voulu
Nous-même constater la valeur de visu,
Faute de quoi portons pour mémoire en cet acte.

— Interrogés tous les deux quant à la somme exacte
Des apports pécuniers de chaque contractant,
Ont déclaré ne pas avoir un sou comptant,
En dehors de châteaux sis au pays d'Espagne,
Et d'espoirs fondés sur un oncle de Bretagne.

Lors, avons demandé promesse aux deux conjoints
De suivre, respecter, observer en tous points
La loi par nos clients reconnue usuelle,
De garder les devoirs d'une foi mutuelle,
De bannir jalousie, humeur, et cetera,
Et de s'aimer autant que faire se pourra.

— Tous deux nous répondant de manière conforme,
Les avons déclarés unis, sans autre forme,
Et les avons requis, en vertu de la loi,
A signer en cet acte, afin de faire foi.

Ledit sieur du moulin a posé son paraphe,
Et damoiselle Annette, ignorant l'orthographe,
A, sans cérémonie, et pour légaliser,
Approuvé d'une croix et scellé d'un baiser.

Armand Masson
Pour les quais
1905



Retour à Armand Masson
Vers la page d'accueil