|
À Suresnes, tout près du quai,
vint s'établir un mastroquet
Avec l'aîné de ses enfants
Pour servir les clients.
On en vit d'abord sept ou huit,
Puis il en vint une enfilade,
Car il n'y a plus qu'la limonade
Qui travaille au jour d'aujourd'hui.
Le soir, en lisant son journal,
Le pèr' dit au fils: "Animal,
Y a bientôt plus d'vin dans l'tonneau,
Faut y mettre un peu d'eau!"
Le lendemain, d'un air plaintif,
Un client dit: "J'ai la colique!
— Mon bon, pour pas que ça s'complique,
Prenez un p'tit apéritif!"
Le soir, en lisant son journal,
Le pèr' dit au fils: "Animal,
Le rhum est comm' du jus d'pruneaux,
Mets-y du tord-boyaux!"
"C'est drôl', dit un client, plus j'bois,
Patron, plus j'ai l'feu dans la tête.
— Mon bon, faut pas qu'ça vous inquiète:
C'est qu'vous avez la gueul' de bois!"
Le soir, en lisant son journal,
Le pèr' dit au fils: "Animal,
Le cognac manque un peu d'alcool,
Mets-y du vitriol!"
Le lendemain, spectacle affreux!
Un des clients fut pris d'un' crise.
"Ça, fit l'patron, faut qu'j'vous dise,
C'est c'qu'on appell'le mal aux ch'veux!"
Le soir, en lisant son journal,
Le pèr' dit au fils: "Animal,
Notre absinth' n'a pas de coloris,
Mets-y du vert-de-gris!"
Un des clients, le lendemain,
Dit: "J'sens mon bras qui s'enkylose!
— Non, fit l'patron, j'connais la chose,
Vous avez un poil dans la main!"
Le soir, en lisant son journal,
Le pèr' dit au fils: "Animal,
En tirant la bièr' de Munich,
Mets-y donc d'l'arsenic!"
Le lendemain, l'patron, tranquill'ment,
Avec son fils ouvrant l'échoppe,
Trouva par terre un'grande enveloppe:
"Papa, de qui l'enterrement?
Ça, mon fils, dit le mastroquet,
C'est un client qui vient d'claquer,
Et ça nous porte un rude coup
Car il buvait beaucoup!"
Maurice Mac-Nab Du mal aux cheveux et de la gueule de bois 1890 |
|