Poèmes mobiles

Les Foetus

On en voit de petits, de grands,
De semblables, de différents,
Au fond des bocaux transparents.

Les uns ont des figures douces;
Venus au monde sans secousses,
Sur leur ventre ils joignent les pouces.

D'autres lèvent les yeux en l'air
Avec un regard assez fier
Pour des gens qui n'y voient pas clair!

D'autres enfin, fendus en tierce,
Semblent craindre qu'on ne renverse
L'océan d'alcool qui les berce.

Mais, que leur bouche ait un rictus,
Que leurs bras soient droits ou tordus,
Comme ils sont mignons, ces foetus,

Quand leur frêle corps se balance
Dans une douce somnolence,
Avec un petit air régence!

On remarque aussi que leur nez
A l'intempérance adonnés,
Sont quelques fois enluminés:

Privés d'amour, privés de gloire,
Les foetus sont comme Grégoire,
Et passent tout leur temps à boire.

Quand on porte un toast amical,
Chacun frappe sur son bocal,
Et ça fait un bruit musical!

En contemplant leur face inerte,
Un jour j'ai fait la découverte
Qu'ils avaient la bouche entr'ouverte:

Foetus de gueux, foetus de roi,
Tous sont soumis à cette loi
Et baillent sans savoir pourquoi!...

Gentils foetus, ah! que vous êtes
Heureux d'avoir rangé vos têtes
Loin de nos humaines tempêtes!

Heureux, sans vice ni vertu;
D'indifférence revêtus,
Votre coeur n'a jamais battu.

Et vous seuls, vous savez peut-être,
Si c'est le suprême bien-être
Que d'être mort avant de naître!

Foetus, au fond de vos bocaux,
Dans les cabinets médicaux,
Nagez toujours entre deux eaux,

Démontrant que tout corps solide
Plongé dans l'élément humide
Déplace son poids de liquide.

C'est ainsi que tranquillement,
Sans changer de gouvernement,
Vous attendez le jugement!...

Et s'il faut, comme je suppose,
Une morale à cette glose,
Je vais ajouter une chose:

C'est qu'en dépit des propectus
De tous nos savants, les foetus
Ne sont pas des gens mal f....,

Maurice Mac-Nab
Poèmes mobiles
1886



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