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Sur toute la douceur de votre souvenir
Vingt ans avaient passé sans pouvoir la ternir.
Je m'en berçais encor. Mais jugez de l'effroi
De l'amour acharné que je gardais en moi
Quand je vous vis surgir sous un voile de rides.
Du fond de mes désirs naïfs restés avides
Je sentais s'envoler même votre fantôme
Et pour moi cette mort vivante fut un baume.
Le persistant regret d'être dépossédé
Pour jamais du baiser que j'avais demandé
S'apaisa. J'eus d'abord un sourire, puis j'eus
Un soupir qui disait que vous ne comptiez plus.
Ceux dont j'étais jaloux n'aimaient plus qu'un désastre.
Tout le rayonnement de votre splendeur d'astre
Ne porterait donc plus mon bonheur à nul autre.
Voilà quel égoïsme, en amour, est le nôtre.
Sous l'aumône de ma pitié.
Me demandant une amitié
Vous étiez là, le front confus.
Front! Le joli front que tu fus.
Au noir vainqueur de toutes choses,
Au vil amant, tueur de roses,
Par qui vous êtes méprisées,
Toutes vos grâces refusées,
Il faut les rendre pour jamais.
Corps rêvés, délicieux mets,
Il faut laisser l'affreux vieillard
Se vautrer, vorace et pillard,
Sur l'exquisité de vos charmes
Et rendre vos cruelles armes,
Vos yeux de ciel, vos bouches d'ange...
Hélas! beautés, le Temps nous venge!
Georges Lorin L'Ame folle 1893 |
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