Le Chemin le plus court

Dans l'Atelier

Karr semble avoir été germanophile. Peut-être ne portait-il pas l'Italie dans son coeur. Hugues, son héros, est un jeune homme sans expérience, un étudiant qui tout en affichant l'incrédulité verbeuse et assez ridicule dont ses camarades se faisaient gloire, ne laissait pas d'avoir en même temps les croyances au moins aussi ridicules que lui avaient données ses lectures. Il a écrit à son ami Edmond, qui voyage en Italie, lui décrivant toutes les merveilles — le ciel si bleu, le pays des arts, ces italiennes aux yeux et au coeur de feu — qu'il l'envie d'avoir trouvées. Il reçoit sa réponse.

Edmond à Hugues

Si tu tiens à tes illusions, brûle ma lettre sans lire une ligne de plus.

» Ici il n'y a pas de verdure dans la campagne; les églises sont riches et belles, les Italiens ont réussi à les rendre mesquines et grotesques. Ils y ont entassé des dorures et des statues ridiculement vêtues et parées au milieu des chefs-d'oeuvre de la peinture et de la sculpture. L'avidité et la vanité en ont fait des musées; les dieux payens (sic), pourvu qu'ils soient beaux ou dus à un pinceau illustre, y sont reçus à bras ouverts sans qu'on prenne toujours la peine de les baptiser et de leur imposer un nom de saint. Il y a une église où le prêtre dit la messe, ayant devant lui entre deux christs un magnifique groupe représentant les Grâces toutes nues. Pendant ce temps les naturels du pays prient ou causent; les Français plaisantent, les Anglais mesurent le choeur et les piliers et prennent des notes; les cicéroni expliquent tout haut les images.

« Tu chercherais en vain ici ce mystique et solennel silence, ce jour crépusculaire, cette impression vraiment touchante et religieuse des églises gothiques de la Normandie, dans lesquelles on retient involontairement sa voix et ses pas.

« Pour les femmes, on en a juste comme à Paris, comme à Londres, comme partout; l'étranger rencontre des bonnes fortunes à prix fixe. Les intrigues de rues sont une mauvaise plaisanterie; on ne peut parler à une femme de la société sans être présenté et admis dans la société; pour notre compte, depuis un an, malgré nos démarches multipliées, Ernest et moi, nous n'avons à mettre sur la liste de nos conquêtes, que le nom d'une blanchisseuse, et encore est-ce la même pour tous les deux. Dans la société, les femmes se mettent, parlent, comme à Paris, et sont abonnées au journal de la Mésangère.

« Le costume si pittoresque en peinture, que nous reproduisons avec tant de plaisir, n'est conservé que par les femmes du peuple, et alors c'est un assemblage fortuit des couleurs les plus ennemies, sans harmonies entre elles, sans harmonie avec l'air des visages et la couleur de la peau; elles ne savent ni faire valoir une beauté, ni dissimuler un défaut.

« Et surtout, mon pauvre ami, ce qui t'effraierait, c'est la saleté des hommes et des femmes; les moines de toutes les couleurs forcent à détourner les yeux; les lazzaroni feraient honte à nos plus horribles mendians (sic), les rues en sont jonchées. Ils font mettre une fois par jour du macaroni gluant dans leur chapeau; quand le macaroni est mangé, ils remettent le chapeau sur leur tête.

« Remarque bien que le macaroni est ici très-mauvais à cause du beurre qui est presque toujours fort et détestable.

« Les bains sont ignorés ou ne sont considérés que sous le rapport de la médecine; un homme qui serait convaincu d'avoir pris deux bains dans le même mois ne pourrait persuader aux gens du peuple qu'il n'est pas atteint de quelque maladie. . . . . . . . . . . .

Etc.

Alphonse Karr
Le Chemin le plus court
1836



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