L'Âme nue

L'Agonie du soleil

À Guy de Maupassant

La Terre est morte; morts Uranus et Saturne;
Mars et Vénus, Pallas, Mercure et Jupiter,
Tous morts : et dans l'effroi de leur route nocturne,
Les spectres sidéraux gravitent sur l'éther.

Dans leur pâleur cendrée, ils gravitent encore,
Rapprochant du soleil leurs cycles somnolents;
Et l'aïeul qui n'a plus l'espoir d'aucune aurore
Sent le feu génital s'éteindre dans ses flancs.

Horreur! Voici grouiller sur lui l'âpre vermine
Des océans, des bois et des vivants furtifs:
Un ennui moribond l'attarde; il s'achemine,
Et le vent frais l'endort dans des râles plaintifs.

Qu'ils sont loin, les soleils! Comme c'est froid, les brises!
Et l'énorme mourant contemple avec mépris
Le fantômal troupeau de ses planètes grises
Qui tournent mornement autour d'un grand ciel gris.




Le Sou

L'homme, gueux d'une idée, esprit de ruminant,
Rêve, rêve et refait son rêve, allant, venant:
Chaque conception ramène la première,
Mais il croit, dès qu'il touche un rayon de lumière,
Manier des soleils et brasser l'infini.
Alors, vers ses deux mains, penchant son front jauni,
Il pèse avec amour ses trésors chimériques.
Ainsi l'enfant qui vient sur les marches de briques,
L'enfant pauvre qui vient sur les marches, s'assoir,
Et qui compte son sou de l'aube jusqu'au soir.


Edmond Haraucourt
L'Âme nue
1885



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