Balzac, le grand romancier, fit quelques efforts pour faire fortune au théâtre. D’abord il écrivit Vautrin, pièce qui en 1840 n’eut qu’une représentation avant d’être interdite par les autorités. Gozlan nous donne ici ce qu’il pense être la raison fondamentale de cet échec. Cédant enfin à ses irrésistibles entrainements vers le théâtre, Balzac allait affronter la grande mer dramatique, il allait doubler le cap des Tempêtes. A notre avis, l'heure était mal choisie, le moment des plus détestables. C'était trop tard, beaucoup trop tard. Non que Balzac fût trop âgé pour apprendre la théorie d'un art assurément fort difficile. – ce n'est pas là ce que nous prétendons, – les fortes constitutions acquièrent et rapportent jusqu'à la dernière minute de leur durée. C'était trop tard, uniquement parce que Balzac était infiniment trop célèbre à ce moment de sa vie pour se faire pardonner la conquête d'une nouvelle gloire et de la gloire la plus enviée de toutes : la gloire dramatique. Quoi! ce n'était pas assez d'être lu et admiré dans tous les salons de France, d'Italie, d'Angleterre, d’Allemagne et de Russie, d'être traduit dans les langues de toutes ces nations, d'avoir l'applaudissement délicat des coeurs et des yeux; il briguait aussi l'applaudissement héroïque des mains! Mais, en vérité, cet homme se croyait donc un Charlemagne, un Charles Quint? Il rêvait la monarchie littéraire universelle! Dans cette question d’étonnement il y avait toute une déclaration de guerre contre le téméraire écrivain. Comment Balzac ne le comprit-il pas, lui si subtil inquisiteur de toutes pensées, lui prévoyant et habile comme un vieux juge d'instruction, lui qui avait arraché si souvent, avec la chair, le masque à l’humanité? Pouvait-il ignorer que l'envie, que la haine, que la jalousie, impuissante à déchirer le livre dont le succès les irrite et les exaspère, se cachent sans danger dans les recoins assassins d'une loge de spectacle et de là tuent à loisir l'œuvre et l'auteur, et qu'elles les tuent d'autant plus volontiers l'une et l'autre que l'œuvre est plus belle et que l'auteur est plus grand. Ce danger existe beaucoup moins, bien qu'il existe toujours, quand l'écrivain, fortifiant adroitement sa vie, a eu soin d’avoir toujours un pied dans les deux camps, dans le livre et dans le théâtre, de s'élever graduellement ici et là, ainsi que fit Voltaire dans les proportions du génie, ainsi que fit Etc... Léon Gozlan |
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