Les Flèches d'or

Nocturne



Vous reviendrez, belles ombres galantes,
Dans ces bosquets par vous charmés encore;
Laissant traîner vos robes opulentes,
Vous reviendrez dans ce rare décor.

Elle courra la folle mascarade
Des grands seigneurs tout enfiévrés d'amour,
Et nous aurons des vers de Benserade
Pour vos beaux yeux qui sont couleur de jour.

Vos grâces, là; se trouveront chez elles.
Les verts gazons vous seront un tapis,
Et vous ferez encor battre des ailes
Aux Cupidons sur les sphinx accroupis.

Les éventails dans vos mains tant baisées,
Rafraîchiront l'air enflammé du soir,
Et les Sylvains dans les branches croisées
Se glisseront afin de mieux vous voir.

Vous reviendrez, ô nobles Dorimènes!
Et les marquis, en vous pressant la main,
Vous nommeront tendrement inhumaines,
Vous leur direz, en riant: «A demain!»

Loin des bassins où le cygne se mire,
Dans les recoins du bois abandonnés,
Les preux, jaloux des faveurs des Thémire,
Se couperont la gorge en gens bien nés.

Vous reviendrez par un beau clair de lune,
Quand auront fui du parc majestueux,
Humiliés par leur troupe importune,
Tous ces bourgeois fous et tumultueux.

A l'heure auguste où le rossignol chante,
Où passe Hécate en un char de vapeur,
Où, s'appuyant sur son urne penchante,
La Nymphe songe au beau Faune trompeur;

A l'heure où court la chasse fantastique
D'Hérodiade au fond du noir ravin,
Quand Faust éveille, avec le monde antique,
La grande Hélène au visage divin.

Et les amants de la douce féérie,
Qui vous suivront aux taillis toujours frais,
Dans leur chanson mollement attendrie
Raconteront ce Walpurgis français.

(Versaille)




A Miss Mary



Le Destin a voulu que vous fussiez charmante,
Et vous l'êtes. Riez, miss Mary, regardez:
Vous charmez toute choses et tout vous complimente;
Les coeurs courent à vous, par vous beaux yeux guidés.

Et vos cheveux sont d'or, l'air de mai les tourmente,
Votre frais rire éclate en grelots saccadés;
On vous aime de tout, même d'être inclémente,
Et l'amour avec vous en vain pipe les dés.

Il semble qu'on pourrait, tant vous êtes petite,
Vous cacher sur son coeur, comme on fait d'un portrait
Qu'on regarde souvent, de peur qu'il ne vous quitte.

Voulez-vous qu'on vous cache ainsi? Non, ce serait
Imprudent. Près du coeur garder ces yeux de flamme!
Puis, comment pourrait-on être à vos pieds madame?



Albert Glatigny
Les Flèches d'or (1864)





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