Les Vignes folles

Partie de campagne



Pendant que le soleil luira sur nos deux fronts,
Demain, si tu le veux, nous nous embrasserons;
Nous irons au hasard, ô petite Laurence,
En devisant gaîment, et, j'en ai l'espérance,
L'air se fera plus chaud, et les vents bienheureux
Annonceront au bois qu'il vient des amoureux.

Nous nous éveillerons, primevères tardives,
Ô fleurs encore à naître, ô plantes maladives
Dont le cruel hiver empêchait le retour,
Mais qu'avril nous rendra, puisqu'il nous rend l'amour.
Viens, donnons le signal aux merles, aux linottes;
Demain le rossignol, éparpillant ses notes,
Jettera vers le ciel son cantique éperdu,
Tout honteux qu'on ne l'ait pas encore attendu
Pour se tenir la main, pour s'enlacer la taille
Pour baiser doucement ta gorge qui trésaille.

Viens hâter le Printemps qui tarde à se montrer;
Peut-être dans un coin l'allons-nous rencontrer
Et frais et souriant à ta figure ronde
Arrondissant, pour faire à ta jeunesse blonde
Un cadre provoquant, les branches en arceaux,
Et te faisant chanter par l'onde des ruisseaux!




Les Roses et le vin



À Louis Péricaud.

Versons ces roses en ce vin,
En ce bon vin versons ces roses...
Ronsard.



Rose trois fois sacrée; amante des pourpris
Où j'adore en tremblant le sang pur de Cypris!

O vin! grande liqueur où la pourpre ruisselle,
Soleil captif, magnifique et superbe étincelle!

Le Printemps te respire, honneur des floraisons,
Sur les hauts églantiers, dans l'ombre des gazons;

La bacchante me tend ses lèvres dans tes ondes,
Vin, qui mets du corail parmi ses tresses blondes;

Tu ramènes le choeur de nos jeunes espoirs,
Bercés dans les parfums de tes beaux encensoirs;

Tu donnes le courage et la force clémente,
Et dans tes flots divins l'âme d'un dieu fermente!

Pour toi le rossignol, que blesse le gand jour,
Dans les bois ténébreux s'en va mourir d'amour;

Rouge consolateur, c'est toi qui nous apportes
Dans la coupe la joie et les croyances mortes;

Afin de rafraîchir ses sens inapésés,
Zéphire, le matin, te couvre de baisers;

Les vénérables ceps, tortillés en spirales,
Laissent couler à nous tes larmes libérales;

L'Aurore, pour orner tes pétales charmants,
Tranforme la rosée en mille diamants;

Lyoeus nous appelle, et les noires panthères
Communiquen l'ivresses aux antres solitaires;

O rose! souveraine éclatante, le Vin
Colore ton calice adorable et divin!

Noble Vin, le cristal que ta lumière arrose
A la coquetterie exquise de la Rose!

Mariez vos parfums, mariez vos couleurs,
Rose et Vin qui domptez les cruelles douleurs;

Unissez-vous toujours, chantez l'épithalame,
O feuilles! flots pourprés! de la forme et de l'âme!



Albert Glatigny
Les Vignes folles (1860)





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