Gill nous parle du Passant, la pièce qui a lancé la carrière littéraire de François Coppée. … La première du Passant! je me la rappelle comme si c'était hier: On l'avait annoncée, prônée, escomptée au café de Bobino, voisin des arbres du Luxembourg, où se réunissaient les Parnassiens, où passait Rochefort, où venait de débarquer, avec Pierrot Héritier, L'auteur, avec son joli nom ciselé: François Coppée, avec son profil nerveux et de pur camée, avait dit des fragments aux tables, distribué à la ronde des poignées de main. On savait que deux belles filles, deux artistes de race, allaient prêter le charme de leur chair et de leur talent à l'interprétation; tout bas, on ajoutait même… que l'une d'elles était aimée du poète, que l'autre en séchait de jalousie: un vrai roman! Enfin, c'était notre drapeau à tous que le camarade allait dresser dans la bataille… Comble de l'émotion! J'en appelle à ceux de mon âge: le lustre de l'Odéon, ce soir-là, nous sembla rayonner notre aurore. Dans la salle, il y avait le Tout-Paris de l'Empire: un bruit d'éperons, des entrecroisements de moustaches, des femmes plâtrées, étincelantes de parures, des crânes luisants surchauffés d'agio, des ventres balonnés d'expropriation, des nez affilés par la ruse, une odeur de luxe violent et malappris, de virements, de police et d'indigestion splendide; c'était superbe! Il y avait aussi les maîtres venus pour encourager l'élève: Gautier, Banville, Augier, Leconte de Lisle, tous les fronts ombragés du vert laurier, tous, excepté Hugo, qui était ailleurs… On frappa les trois coups. Etc.
André Gill |
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