Dominique

I


Au début du roman, le narrateur introduit Dominique et la dure vision qu'il a de lui-même.

...

Quoiqu'il ne fût pas le premier venu autant qu'il le prétendait, et qu'avant de rentrer dans les effacements de sa province il en fût sorti par un commencement de célébrité, il aimait à se confondre avec la multitude des inconnus, qu'il appelait les quantités négatives. A ceux qui lui parlaient de sa jeunesse et lui rappelaient les quelques lueurs assez vives qu'elle avait jetées, il répondait que c'était sans doute une illusion des autres et de lui-même, qu'en réalité il n'était personne, et la preuve, c'est qu'il ressemblait aujourd'hui à tout le monde, résultat de toute équité dont il s'applaudissait comme d'une restitution légitime faite à l'opinion. Il répétait à ce sujet qu'il n'est donné qu'à bien peu de gens de se dire une exception, que ce rôle de privilégié est le plus ridicule, le moins excusable et le plus vain, quand il n'est pas justifié par des dons supérieurs; que l'envie audacieuse de se distinguer du commun de ses semblables n'est le plus souvent qu'une tricherie commise envers la société et une injure impardonnable faite à tous les gens modestes qui ne sont rien; que s'attribuer un lustre auquel on n'a pas droit, c'est usurper les titres d'autrui, et risquer de se faire prendre tôt ou tard en flagrant délit de pillage dans le trésor public de la renommée.

Etc.

Eugène Fromentin
Dominique
1862



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