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A la Grand'Pinte, quand le vent
Fait grincer l'enseigne en fer blanc,
Alors qu'il gèle,
Dans la cuisine, on voit briller
Toujours un tronc d'arbre au foyer,
Flamme éternelle
Où rôtissent, en chapelets,
Oisons, canards, dindons, poulets,
Au tourne-broche.
Et puis le soleil jaune d'or
Sur les casseroles encor
Darde et s'accroche.
Tout se fricasse, tout bruit,
Et l'on chante là jour et nuit;
C'est toujours la fête!
Quand, sous ce toit hospitalier,
On demande à notre hôtelier
Si tout s'apprête...
Il vous répond avec raison:
On n'a jamais, dans ma maison,
Fait une plainte!
On est servi comme il convient,
Et rien n'est meilleur, on sait bien,
Qu'à la Grand'Pinte!
Je salue et monte. Je vois
Un couvert comme pour des rois!
La nappe est mise.
J'attends mes amis... Au lointain
Tout est gelé sur le chemin,
La plaine est grise.
Pour mieux voir j'ouvre les rideaux.
Le givre met sur les carreaux
Un tain de glace;
Il trace des monts et des forêts:
Des lacs, des fleurs et des cyprès;
Je les efface.
La vie est rude et l'hiver froid:
On devient courbe au lieu de droit,
Quand l'âge pèse.
A la Grand'Pinte, on rit de tout;
La gaité retentit partout;
Là, je suis aise!
Un instant de joie et d'espoir
Me fait voir en rose le noir
Que j'ai dans l'âme...
— Du bruit, du vin et des chansons!
C'est en soufflant sur les tisons
Que sort la flamme!
Adieu tristesses et soucis,
Quand avec mes amis, assis
Joyeux ensemble,
Nous ne buvons pas à moitié
En trinquant à notre amitié
Qui nous rassemble.
— Nous sommes quatre compagnons
Qui buvons bien, qui sommes bons;
Dieu nous pardonne!
— L'un mort, il en restera trois,
Puis deux, puis un, et puis, je crois,
Après, personne!
Auguste de Châtillon |
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