Bredouille

Notes




Bredouille, publié dans le Chat Noir en 1882, est une parodie de Pot-bouille, le roman d'Émile Zola. Les quatre épisodes sur Siècle 19 ont été publiés dans les numéros 7 à 11, avec un saut du numéro 10, où un épisode est annoncé, mais manquant.

Le nom de l'auteur, J. K. Paul Henry, est évidemment un pseudonyme, formé des prénoms de trois proches de Zola: Joris Karl Huysmans, Paul Alexis et Henri Céard. Malheureusement, il laisse le nom du véritable auteur dans l'ombre. Une chose est certaine, l'inconnu a du talent. Il est capable de tourner des phrases complexes, au riche vocabulaire et au style précis. Parce que le nom du héros est Gourdet, on pourrait être tenté de l'attribuer à Émile Goudeau, alors très actif au Chat Noir, mais il l'était peut-être justement trop pour avoir le temps de faire ce pastiche. Les autres candidats me manquent pas, de Léon Bloy à Jean Richepin, mais je n'ai trouvé aucun indice pouvant éclairer l'identité de l'auteur.

Par contre, on peut se demander pourquoi les prénoms de trois collaborateurs de Zola ont été choisis pour former le nom de l'auteur présumé. Il me semble que les accusations d'utiliser des nègres, dont Zola était l'objet - voir à ce propos la Revanche du Guillotiné - est probablement la réponse. Ce roman "de Zola" est signé non d'un pseudonyme du Maître, mais du nom de ses auteurs hypothétiquement légitimes.

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Un des aspects intéressants de ce texte est l'usage de l'argot. Déjà avant Zola, Eugène Sue l'avait largement utilisé, du moins dans le discour de ses personnages. Zola, entre autre naturaliste, Richepin, André Gill et Aristide Bruant, à la même époque, puis un romancier populiste comme Charles-Louis Philippe, ou des gens de l'école dite de Montmartre, spécialement Francis Carco et Pierre Mac Orlan, feront leur ordinaire de la langue verte. Ici, de "turne" en "pioncer", de "douille" en "béguin", il est vraiment partout, tant dans les dialogues que dans la narration.

Et puis il y a aussi les descriptions chocs, le plus souvent un peu écoeurante. C'est sale, c'est sordide, ça pue... Ce qu'Oscar sent et entend par la fenêtre de la cour donnerait des nausées à n'importe qui. Les bourgeois sont des hypocrites débauchés; les ouvriers sont frustrés, agressifs et vulgaires. C'est tout à fait en accord avec la vision que dépeint Zola dans ses romans. Elle n'est pas nécessairement fausse, mais elle est un peu limitée.

Outre ces questions de style, on y étale avec beaucoup de plaisir les préoccupations de Zola. D'abord la sexualité, diablement facile! en quatre épisodes, Oscar Gourdet s'accouplant avec quatre femmes et toujours dans des situations plutôt sordides. Le seul amour dont il est question est celui de la grande Octavie qui cherche "une âme soeur", mais qui ne se formalise pas de passer, sous un porche, après sa patronne qui a une "rage de tendresse", à la sauvette dans son "cabinet".

Autre préoccupation de Zola : la nourriture. Et ici je dois dire que nous avons une bonne illustration de l'adage qui dit qu'un verre peut être à moitié plein ou à moitié vide. Ainsi, un Roquefort peut être un fromage goûteux, aux saveurs salées réveillant les papilles fatiguées après un bon repas, ou quelque chose ayant "empuanté par des odeurs fauves" la salle à manger et sur laquelle se dessinent le "mouvement rouge des asticots"... Zola, quoique très porté sur la bonne chère, était littérairement de la seconde école, comme le démontre assez bien la célèbre symphonie des fromages dans Le Ventre de Paris, et Bredouille ne le rate pas.

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Détail amusant que cette "réclame payée" dans le deuxième épisode et qui est un trait lancé au mercantilisme de Zola, pour qui les questions d'argent avaient toute leur importance, probablement plus que les questions littéraires, artistiques ou sociales. À ce sujet, voir le Manifeste des Cinq.

Finalement, ces femmes en chaleur, qui "n'aimaient pas faire ça", mais qui "le faisaient tout de même", d'où leur viennent ces élans de libido? Mais de George Sand et de nul autre qu'Émile Zola, voyons! Zola grâce à qui d'ailleurs on peut "mieux comprendre la vie"... Du moins la vie telle que, sinon vue, du moins dépeinte par Zola dans ses romans. Merci monsieur Zola...





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