Nymphes dansant avec des satyres

Le Miracle du saint-Vaisseau

Après avoir mis Jésus dans une tombe et recueilli son sang dans une coupe offerte par nul autre que Pilate, Joseph d'Arimathie est enlevé par le juif Moïse, qui est jaloux de sa richesse et veut épouser sa soeur Enigée. Il est enfermé et abandonné dans un cul-de-basse fosse.

Le malheureux Joseph éprouva le plus vif mécontentement du lieu où on l'avait mis ; non seulement parce qu'il était dépourvu de lit, de crédence et de prie-dieu, mais encore parce qu'il manquait de ce parfum subtil que mademoiselle Enigée faisait peut-être venir d'Arabie, à moins qu'elle ne le répandît de sa personne dans le logis clair et propret qui convenait si bien à un prud'homme faisant honneur à ses affaires. En outre, Joseph était incapable de méditation, ce qui eût été la seule ressource dans un mauvais cas comme le sien ; mais le pire vint de ce qu'il avait un grand appétit qui fut contrarié quand arriva l'heure ordinaire du repas.

En revanche, Notre-Seigneur lui apparut.

— Joseph! lui dit-il, es-tu content de souffrir pour moi?
— Monseigneur! dit Joseph, en faisant une profonde révérence, mon jugement est pauvre et dominé en ce moment par la faim ; la vérité m'oblige à vous confesser que je ne suis pas parfaitement content.
— Joseph! reprit Jésus, ta foi est plus pauvre encore que ton jugement ; car si elle avait quelque vigueur, tu ne sentirais pas ta faim.
— En ce cas, Monseigneur, dit Joseph avec simplicité, me voilà bien au regret, je vous jure, que ma foi ne soit pas plus vive!

Jésus fut tenté de sourire de pitié, à cause de la malheureuse faiblesse des hommes, et il dit à Joseph :

— Eh bien! et moi? crois-tu que je n'ai pas souffert pour toi?
— Monseigneur! Monseigneur! soupira Joseph en se traînant aux pieds du maître, et soudain confus au souvenir des grandes tortures qu'il avait vues. Et il se mit à pleurer abondamment, en se traitant de pourceau.
— Relève-toi, dit Jésus, car je t'aime. Tu as pris soin de mon corps et l'as enseveli. Au surplus, depuis longtemps tu me suivais avec fidélité et tu écoutais ma parole…
— Oui, oui! interrompit vivement Joseph, c'était au bord du lac de Tibériade : il y avait une grande quantité de poissons, j'en ai vendu pour quinze cents deniers, et j'ai acheté des pêcheries! Ah! Monseigneur! montrez-moi la porte par où vous êtes entré dans ce réduit, afin que j'aille jeter un coup d'œil à ces établissements qui vont dépérir par suite de mon absence!…
— Joseph! dit Jésus avec douceur, voilà que tu n'as plus faim, maintenant que tu penses à tes pêcheries, tandis que ma présence a été inefficace à combler ton appétit!… Cependant, je veux t'embrasser à cause de ton ignorance du mensonge et de l'hypocrisie. Et écoute-moi : Je t'apprendrai à connaître le vrai bien, et te tirerai de prison.

Pour le moment, voici le vaisseau dans lequel tu as recueilli un peu de mon sang. Je l'ai ravi aux mains des méchants et je t'en confie la garde. Et écoute encore ceci : Tu n'as pas oublié le Jeudi où je fis la Cène chez Simon, avec mes disciples. En bénissant le pain et le vin, je leur dis qu'ils mangeaient ma chair avec le pain et buvaient mon sang avec le vin. Or, il sera fait mémoire de la table de Simon en maints pays lointains, et toi-même tu le feras, dès que tu seras sorti de prison et que tu auras trouvé douze hommes ayant le cœur pur et voulant s'asseoir avec toi à la table.

Ce disant, Notre-Seigneur disparut.

René Boylesve
Nymphes dansant avec des satyres
1913



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