La Marchande de petits pains pour les canards

La Paix

A marée basse, ils regagnaient leur villa, par la plage. Dans leurs oreilles, à tous les deux, bruissait l'écho du bacchanal de l'après-midi: rires, mots, jeux de mots, médisances, compliments, caquetages, éclats d'orchestre, cris d'enfants, résultats des courses, flons-flons, refrains ineptes, camions, omnibus d'hôtels, trompes et sirènes d'automobiles. Lui, se plaignait que son tympan continuât à résonner comme une conque marine, et déplorait que l'on vient l'été, sous le prétexte de se reposer, se mêler à un tintamarre plus assourdissant que celui de Paris

— Oh!... la paix!... soupira-t-il.
— La paix, dit son amie, on la goûte nulle part, sinon le soir, quand tout s'éteint, quand tout s'endort...
— Et quand nous sommes nous-mêmes endormis, avouez-le.
— Non, ne vous moquez pas: il y a chaque soir, quand la mer se retire, ici, un silence et un calme extraordinaire... Attendez, cela va venir.
— Ah!... la paix!... la paix!... répéta-t-il.

Le soir tombait. Ils marchaient sur le sable fin, le plus près possible de la mer; lui, afin d'avoir sous le pied un sol dur; elle, afin de courir le risque de mouiller ses bottines. Un flot étalé et sans cesse déroulé à perte de vue, frangeait d'une mousse sensible au vent le bord sinueux du rivage. Au loin, au loin, des groupes de pêcheurs d'équilles avaient l'air d'un cent d'épingles piquées.

Ils marchèrent durant quelque temps sans rien dire; lui, absorbé par la contemplation des minuscules paquets de sable que le bout de sa semelle, à chaque pas, dérobait au sol humide et lançait en avant, selon d'amusantes trajectoires; elle, frôlant l'écume éphémère de la lame, et ne manquant pas de pousser un cri puéril, lorsque le jusant trompeur mouillait soudain jusqu'à la cheville, et, d'ailleurs, détériorait irrémédiablement les délicates chaussures.

Et puis, la nuit accourut au-devant d'eux. Ils remontèrent vers les dunes de sable où quelques villas s'allumaient, tandis que, de son côté, la mer s'enfonçait plus profondément vers le large. De longs nuages, d'un ton de prunes violacées et meurtries, s'étirèrent en fuseaux au couchant; le ciel verdit; et quelques personnes attardées, venant sur le grève, apparurent, émergeant soudain hors de l'ombre. La jeune femme frissonna; son ami lui tendit la main; ils s'arrêtèrent. Le grésillement des pas étrangers sur le sable, derrière eux, diminua, s'éteignit. Elle dit tout à coup:

— Voilà!... voilà!...
— Quoi donc?
— La paix!... Écoutez.

Etc.

René Boylesve
La Marchande de petits pains pour les canards
1913



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