Cet extrait est tiré du premier conte — c'est ainsi que Boylesve les qualifie dans son introduction — de ce recueil, auquel il donne d'ailleurs son titre. Un jeune ménage rêvait à une maison de campagne. C'était, bien entendu, un jeune ménage parisien, ou du moins digne d'être ainsi qualifié, puisqu'il habitait rue Henri-Martin, dans le XVIe arrondissement, un tout petit appartement, il est vrai, et bien que la jeune femme fût de Granville et le mari d'Issoudun. Mais en trois ans d'application acharnée, monsieur et madame Jérôme Jeton s'étaient fait ce que l'on appelle des relations, et Jérôme Jeton se déclarait homme de lettres. Jérôme avait plus de peine à justifier sa qualité d'homme de lettres que Sylvie, sa chère « associée » , à se faufiler « dans le monde » ainsi qu'elle disait, et à attirer à son petit appartement quelques couples lancés dans le tourbillon de la vie élégante et même, comme elle aimait à le dire encore plus volontiers, « quelques noms connus », Et Jérôme, pour son avenir littéraire, comptait beaucoup plus sur les efforts de Sylvie à se constituer un milieu singeant autant que possible le monde, que sur son talent qu'il niait lui-même carrément, dans l'intimité, car c'était un très brave garçon. Mais l'activité déployée par la gracieuse Granvillaise pour être une Parisienne accomplie, et par l'honnête enfant d'Issoudun pour loger de tristes articles dans les feuilles, les harassait parfois l'un et l'autre; et, lorsqu'ils avaient un rare moment de répit, ils rêvaient avec une nostalgie ardente au plaisir, lui de faire la sieste l'après-midi, en bras de chemise, sous un pommier, et elle d'aller distribuer du grain aux poules, suivie jusqu'à la grille de la basse-cour par un beau chien gambadant. Evidemment, ils n'avaient pas le moyen de s'offrir une maison de campagne dans un lieu habitable et de conserver en même temps, si étroit fût-il, l'appartement où ils avaient adopté la tâche commune, opiniâtre et touchante, de faire connaître le nom de Jérôme Jeton. Chacun sait que le problème de vivre à Paris devient de plus en plus difficile à résoudre et il offrait les plus grands obstacles au ménage des Jérôme Jeton. Sylvie le résolvait par des prodiges d'ingéniosité, sinon d'économie, — car il faut à tout prix donner l'illusion d'une situation un peu supérieure à l'aisance, — et Jérôme, provisoirement, en vendant chaque année quelques titres de rente; la rémunération de la « copie » placée, ici ou là, dans les journaux, on en parlait, certes; Dieu sait si l'on en parlait! mais ce n'était pas la peine d'en parler. Etc. René Boylesve |
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