Le Carrosse aux deux lézards verts

IX
Le déjeuner chez le conseiller Périnelle

Dans cet extrait de ce que Boylesve appelle un conte, Gillonne raconte ses voyages, et plus précisément son passage dans un groupe de royaumes "ayant dépassé notre degré de connaissance" ayant "même supprimé la guerre", ce qui ne les a pas empêché de s'entre-détruire dans l'une d'elles.

— On ne peut se déclarer grand clerc, dit Loys, que lorsqu'on a parcouru les diverses parties du monde.
— Oui, dit Gillonne, tant que celles-ci restent différentes de la vôtre. Mais dans l'important groupe de royaumes dont je vous ai parlé, et qui tient la tête des nations par les progrès de toutes sortes, notamment par celui de la locomotion, qui est prodigieuse, chacun passe sa vie à se déplacer d'une capitale à une autre, et dans chacune de ces capitales, on ne trouve rien qui ne ressemble exactement à ce qu'on connait dans la ville qu'on vient de quitter. C'est logique, puisque chaque citoyen étant, pour ainsi dire, dans chacun des royaumes à la fois, y apporte ses goûts, son langage, sa religion et son habit; tout se ressemble.
— Alors, dit le conseiller, en somme, ce grand effort et ce perfectionnement admirables qui aboutissent, je le vois, à s'enrichir, et à s'enrichir pour se pouvoir transporter, a pour dernière fin de se transporter dans des lieux qui sont les mêmes que ceux que vous venez de quitter?
— Ils sont les mêmes, et ils le sont encore bien plus aujourd'hui, dit Gillonne, car, ayant pu parcourir d'un peu haut tous ces royaumes, après trois semaines de carnage savant, nous avons remarqué que dans les uns comme dans les autres il ne restait plus rien.
— Comment! plus rien?
— Rien, ce qui s'appelle rien; plus rien que la terre rase et d'ailleurs bouleversée.

René Boylesve
Le Carrosse aux deux lézards verts
1921



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