Sainte-Marie-des-fleurs

III

L'amour est bien difficile pour André et Marie, qu'André a baptisée Sainte-Marie-des-fleurs. L'amour est difficile parce que la société est mesquine: elle est d'une famille très riche et lui ne l'est pas assez. Parce que ce sont des amants compliqués: est-ce que le ridicule et le vulgaire ne les guettent pas? Parce qu'il est tentant pour un jeune écrivain de tomber dans la psychologie à deux sous et le pathétique. L'esprit du roman tient à peu près tout entier dans cette citation: "nous nous sommes quelquefois embrassés dans la rue, comme les pauvres".

...

Il nous arriva, dans ces moments, de couper le silence par des paroles tout à fait étrangères à notre pensée, par les mots les plus banals, craignant de parler de ce qui nous émouvait tant. Le contraste avivait le goût de notre entretien silencieux. Je me levai plusieurs fois, la poitrine gonflée d'un tel bonheur que j'en croyais étouffer. Je marchais tout à coup, me sentant plus fort, plus grand, et je poussais par instant de petites exclamations qui eussent paru bien ridicules à un témoin étranger. Elle, au contraire, était affaissée par ces minutes bienheureuses; elle était assise dans un vaste fauteuil garni de rouge, au coin du feu; elle pâlissait et toute sa petite figure se chiffonnait et prenait une expression de ferveur si ardente que je ne me tenais plus et tombais à ses genoux.

À un de ces moments, elle se pencha, me prit la tête dans ses mains et me l'approcha de sa bouche. Elle prononça pour la première fois mon nom:

— André! dit-elle.

Etc.

René Boylesve
Sainte-Marie-des-fleurs
1897



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