Les Bains de Bade

Lola Corazon y las Pequenecès

Pogge, secrétaire du pape Jean XXIII, a abandonné le Concile de Constance pour aller prendre les eaux à Bade, où dit-on la Vérité a son royaume. D'autres que lui ont eu la même idée.

Ce cri était de ma maîtresse qui, ayant fui Constance à mon insu, goûtait ici de paisibles transports près de mon bon ami Lorenzo Valla.

— Adorable Lola Corazon y las Pequenecès, dis-je à cette perfide Espagnole, quand j'eus passé la tête par le défaut de la cloison que Valla laissait vacant, oserai-je vous demander, non pas la raison, délicieuse enfant! mais le goût qui vous écarta des environs du Saint-Concile et de moi-même?

Ce fut de la façon qu'une Sirène vous jetterait son cri, que cette créature de séduction me bailla réponse. Elle nageait avec une grâce accomplie, et le dôme de sa croupe voguait à la surface des eaux.

— À cause, dit-elle, que la sensualité est trop forte dans les réunions oecuméniques!...

Je me rengorgeai à ces mots qui sont flatteurs pour un secrétaire pontifical, et venant d'une amante de qui l'on fut amoureux excessivement. Et je fis signe à Valla qu'il n'était pas de trop dans notre colloque et pouvait ouïr à sa guise. Lola poursuivit:

— Il eût fallu plus de trois cents couvents d'Andalousie et un nombre triple de courtisanes Romaines, à seule fin que tous vos cardinaux, vos prélats, vos protonotaires et vos collègues, ô petit Pogge, en la secrétairerie et aux brefs, nous laissassent le souffle au moins une heure du jour; au lieu que...
— Lola! m'écriai-je, vous avez parlé de cardinaux, de protonotaires, et Dieu me damne! jusque de la secrétairerie devant qui je me targuai plusieurs fois de l'exlusif privilège de toucher des appas...

La belle Espagnole me couvrit la voix, d'un bel éclat de rire, et une sorte d'éblouissement de dépit empêcha que je fusse assuré d'ouïr que Valla l'imitait. Mais, ayant vu, par un des mouvements d'ondine qu'elle faisait, l'épaule nue et le teton de la traîtresse, je ne pus que lui dire:

— Petite Lola! je vous baiserai néanmoins!

Et elle vint, tout humide, se presser contre mes lèvres. Puis, hors de l'eau, suffisamment pour que fussent visibles tout en plein, ses nobles hanches, elle dit qu'elle allait nous danser un pas, qu'elle exécuta en effet, tant bien que mal, à cause de l'eau qui lui rendait les jambes un peu lourdes. Lorenzo Valla et moi la regardions l'un et l'autre, avec admiration et attendrissement.

Etc.

René Boylesve
Les Bains de Bade
1896



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