La Leçon d'amour dans un parc

Jacquette, la fille de la marquise De Chamarante, découvre le monde du château où elle est née.

Offrons-nous donc l'avantage de la voir grandir à vue d'oeil.

La voici, au bout des lisières, qui trottine sur ses jambes de poupée, lancée en avant, ou virant tout à coup, pareille à un joujou à ressort. Elle aime à voir, à la cuisine, tourner la broche des rôtis par un marmiton aux mains sales ou par un chien qui court sans avancer jamais, dans une grande roue, en tirant la langue; elle va visiter, dans leur toit, les lapins domestiques qui rongent une feuille de chou quand ils ont les oreilles en haut, ou dorment quand ils ont les oreilles en bas, les vaches dans une grande salle voûtée et tendue de toiles d'araignée; les carrosses des La Vallée-Chourie et des La Vallée-Malitourne, dont les cuirs moisissent; et la chaise qui sert à conduire sa marraine à la messe. Le grand bonheur est de descendre au bout des jardins, jusqu'à la Loire, ce qui est une longue promenade, et de regarder glisser les lents bateaux plats que mènent tantôt une voile gonflée, tantôt des chevaux percherons attelés à la queue leu leu sur le chemin de halage. Pour parvenir là, non loin de l'ancien logis du jardinier, une grille de fer qu'il faut pousser contient, dit-on, dans ses gonds, un pauvre petit oiseau que l'on écrase un peu chaque fois, soit que l'on sorte du parc, soit que l'on y revienne. Et c'est le chemin du bac d'Ablevois, où l'on s'amuse à attendre le radeau du passeur, gros comme un sabot au départ de l'autre rive, et qui atterrit sans bruit près de vous, chargé d'une voiture, d'un couple de boeufs ou d'un troupeau de chèvres gênées par leurs pis brimbalants. Jacquette joue en liberté sur les pelouses inclinées, dans les régions du jardin privées d'eau, et, lorsqu'elle tombe, elle pousse des hurlements de petit porc rose qui va à la foire.

Etc.

René Boylesve
La Leçon d'amour dans un parc
1902



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