Asselineau est un bibliophile érudit; il a une haute opinion de l'homme de lettres: C'est après de longues guerres aussi et de grands maux, après la Saint-Barthélémy et la Ligue, que se formèrent, au XVIIe siècle, ces bandes joyeuses de lampeurs et de goinfres contre lesquels fulmina le Père Garasse. En ce temps-là encore, la France voulait vivre, oublier, refaire du sang. Ce fut l'ère du cabaret et de la taverne. Tout poëte avait le sien ou la sienne, dont il illustrait l'enseigne en vers pompeux. Voyez ce gros homme à large panse, à face rubiconde, à la voix tonnante. Il sort du Petit-More pour aller au Cormier, traînant après lui une séquelle de vauriens avinés, gens de plume et gens d'épée, dont il est le patron et le précepteur. C'est le secrétaire du duc d'Harcourt, le pensionnaire de la reine de Suède, c'est le gros Saint-Amand. Certes, si jamais homme put être avoué pour la lignée directe de Gargantua et de Pantagruel, c'est celui-là. Son oeuvre est proprement le poëme de la Gueule. Il chante le pâté, le melon, le fromage. Il célèbre en litanie l'étalage des charcutiers. L'amour même a dans ses vers une odeur de godaillerie. S'il s'aperçoit, comme il dit, que sa libre humeur en a dans l'aile, c'est qu'il a fait depuis un jour banqueroute au jambon et à la pipe. Ses mélancolies, car il en a, lui viennent toutes du vide de sa bourse ou de l'inhumanité d'un hôtelier qui ne veut plus faire crédit. Mais un peu d'argent, un présent de ses protecteurs, et le voilà relancé, chantant, criant à tue-tête et lavant à grandes rasades ce solide coffre, cet estomac hyperbolique digne des banquets d'Homère. Saint-Amand avait de l'honneur et des honneurs. Il était gentilhomme et avait été en cette qualité attaché à des ambassades. Il était enfin membre de l'Académie française, qui eût eu fort à faire en ce temps-là d'exiger la sobriété de ses candidats. Etc.
Charles Asselineau |
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