Maurin des Maures

Chapitre XLI


Maurin semble avoir le don de s'attacher les bonnes gens et de se mettre à dos les imbéciles, et tout particulièrement les gendarmes. Il est ici aux prises avec son ennemi, le corse Sandri, un gendarme dont il convoite la fiancée, une belle corsoise.

...

Les Îles d’or sont des fragments des Maures, séparées par un large bras de mer du massif auquel elles appartiennent.

Il regarda attentivement son terrain de chasse, et, de son oeil de braconnier, autant dire d’aigle, il aperçut deux choses.

Premièrement, à trente pas, à sa droite, sous la dernière vigne de la rangée, un faisan surpris par le bruit de son arrivée, à demi rasé, le cou tendu, se dérobait vivement, à longues enjambées. Deuxièmement, à sa gauche, au-dessus des genêts, dans un massif où ils se croyaient bien cachés, veillaient deux gendarmes. Le fin sommet de leurs chapeaux faisait tache brune sur la verdure des pins qui s’étageaient derrière eux. Maurin allait entrer dans une souricière! Il se mit à rire tout bas.

Qu’il n’eût pas vu les gendarmes, et il était arrêté. Il devinait très bien leur plan qui était de le laisser s’engager dans l’île et de lui couper ensuite toute retraite vers son embarcation. Son parti fut pris sur-le-champ. Il donna, d’un geste large et silencieux, l’ordre à Hercule de décrire une courbe qui, selon toute probabilité, devait mettre le faisan entre son chien et lui, et il attendit, sans perdre de vue, du coin de l’oeil, la double petite tache sombre que faisait, au milieu des genêts clairs, le chapeau des gendarmes à l’affût.

Chasseur chassé, Maurin observait à la fois ses chasseurs et son chien. Il perdait de vue à tout moment, puis retrouvait, entre deux troncs de pins, la queue expressive d’Hercule. Tout à coup le chien pointa. Il y eut comme deux faux arrêts, puis un arrêt ferme. C’était le moment. Comme Maurin l’avait espéré, le faisan n’était pas très loin de l’endroit où il l’avait aperçu. L’oiseau à peine entré sous le couvert n’avait plus bougé. Il allait s’enlever à bonne portée. « Bourre! » Maurin tira. Le faisan, qui montait en chandelle, retomba aussitôt sur le nez d’Hercule qui, le gibier aux dents, bondit vers son maître. Les gendarmes accouraient. Ils dévalaient bon train, faisant rouler sous leurs pieds ferrés les pierres sonores…

Maurin repartait dans sa barque, et son chien déjà y était entré. Les gendarmes firent une petite halte :

« Arrêtez, Maurin!
– Pas tant bête! leur cria-t-il.
– Au nom de la loi, arrêtez! dit l’un.
– Avez-vous la permission de chasser dans l’île? dit l’autre.
– La permission je l’ai sous ma semelle, quand j’y suis, dans l’île! Et au bout de mes avirons, quand je la quitte. »

Les deux gendarmes reprirent leur course. Maurin, de l’aviron manoeuvré comme une gaffe, repoussait le fond de sable et de cailloux. La barque se dégageait, flottait, s’éloignait un peu.

À ce moment, devant les gendarmes stupéfaits, deux faisans s’enlevaient à grand bruit, montant verticalement d’abord, puis, prenant un parti, s’envolaient pour décrire au-dessus de la mer une grande courbe qui devait les ramener sur un autre point de l’île. Et il arriva qu’ils passèrent à bonne portée du fusil de Maurin… Coup double… Ils tombèrent tous deux… La barque filait… Le braconnier s’inclina par-dessus bord et les ayant cueillis sur l’eau, il les jeta au fond du bateau où gisait le premier sous la garde d’Hercule. Alors, il cria aux gendarmes, debout là-bas sur la colline, véritables statues de l’autorité impuissante :

« Pour ceux-là, vous n’avez rien à dire; la mer n’a pas de propriétaire : zibier d’eau! »

Etc.

Jean Aicard
Maurin des Maures
1908



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